ascensionnistes, en une ligne réellement utile. Sans doute il serait très regrettable que
des chemins de fer comme ceux-ci se multipliassent en Suisse; mais tel qu’il est
aujourd’hui, et si on ne lui crée pas de rival ailleurs, il peut jouer un rôle avantageux
dans le monde des touristes.
Ce ne sont pas des impressions banales que l’on éprouve en venant ici ; c’est le
monde des contrastes les plus absolus : contraste d’une part entre cette fourmilière
souterraine d’employés et de touristes enfermés dans la plus inexorable des prisons,
et d autre part la grande et libre solitude de la haute montagne dans laquelle on est
transporté presque sans transition ; contraste aussi entre le bruit sourd des machines et
de.la crémaillère (très modéré du reste), le bourdonnement
des voix humaines, des exclamations, des plaisanteries plus
ou moins stupides qui se font entendre dans les wagons et
a les restaurants, et le grand silence, le divin silence, dont
A ’* ' on se sent comme enveloppé dès qu’on a quitté les environs
n immédiats de la station.
X j à M j j R K & i E t ce silence même fait toucher du doigt du même coup,
i l I jÉ fc ï ïL y L a y e c une netteté qui ne laisse rien à désirer, les inconvé-
/ \ 1 ^ S H M f tn ie n t s très réels de ce genre de chemin de fe r ; je veux
» p a r l e r de l’envahissement de nos glorieuses solitudes alpes-
"W s par les flots de l’humanité banale, bavarde, profane,
impie ! Il y a là un sacrifice qu’il faut, hélas ! savoir accepter
et, s’il paraît dépasser ce que tel sensitif de l’Alpe
peut supporter, qu’il renonce à utiliser cet avantage et qu’il s’en aillé dans une autre
direction !
Oui, c’est vrai, l’humanité voyageuse est souvent très peu intéressante dans ces
cohues où l’on se coudoie indifférents ou poliment hostiles, au premier coup d’oeil
tout au moins. Mais il peut y avoir dans cette première impression beaucoup d’injustice
; on fait parfois en route, reconnaissons-le hautement, des rencontres qui vous
mettent en contact avec des natures supérieures et des coeurs sympathiques et qui
font apparaître l’humanité sous un jour décidément plus favorable.
Par une coïncidence très inattendue, nous nous y sommes trouvés comme perdus
dans une société d’un genre bien différent, en septembre 1913,
avec une partie des six cents soldats chargés de surprendre les
troupes du Haut-Valais dans une guerre simulée. Arrivés la
veille au soir ou le matin même de Lauterbrunnen et de
Wengen et après avoir, un certain nombre d’entre eux,
passé une nuit entassés dans le restaurant et sa soupente,
ils se mettaient en route aux premières heures
du jour par cordées de cinq , admirablement équipés,
prêts à affronter les pires intempéries. Il n’aurait pas
Jungfrau vue du Mônch.
été du reste possible d’imaginer un temps beaucoup plus détestable que celui qu’il
faisait sur ces hauteurs ce matin-là. L e vent soufflait en rafales violentes soulevant
et chassant de vrais nuages de cette neige fine, glacée, aiguë, qui rend la marche
contre le vent si pénible et que connaissent bien les alpinistes ! L e brouillard était en
même temps très intense ; il ne s’écartait parfois un instant que pour se refermer
de suite après, laissant juste le temps de voir nos vaillants troupiers descendant
laborieusement vers le col, à demi ensevelis dans le sillon d’un mètre de profondeur
creusé par leur passage. Parvenus au bas de la pente, nos hommes lançaient une
iodlée, puis inclinaient à gauche pour suivre les traces de leurs prédécesseurs, dans
la direction de la Goncordia. Vous dirai-je qu’à ce moment je les ai enviés, car il
y a dans cette lutte contre les éléments déchaînés une intense jouissance, quand on
se sent en état de les affronter ! Hélas, il fallait faire volte-face et revenir au logis
par le plus court; et le plus court était incontestablement le chemin
de fer ! Parti un peu après midi du Jungfraujoch, j’étais déjà vers
six heures à Brigue, grâce au Lôtschberg, et avant dix heures à
mon domicile, près des bords du Léman, non sans avoir changé
dix fois de train !
La nostalgie des hauteurs ne manquera pas de nous res