saisir un jour ou l’autre, et, aux prochaines vacances, nous repartirons pour la Jungfrau,
cette fois par son versant le plus escarpé et le plus attrayant au point de vue
alpiniste, celui du Rothtal. C ’est une entreprise sérieuse, même dans les conditions
normales ; les accidents retentissants qui se sont produits à cette occasion nous rappellent
qu’il faut s’entourer de toutes les garanties de réussite : un temps favorable,
un entraînement suffisant, des compagnons de force égale et un guide expert et solide.
On couche à la cabane du Rothtal que l’on atteint par Lauterbrunnen et Steckelberg,
puis on escalade le lendemain l’immense paroi granitique, striée de couloirs, où l’on a
placé ici et là des cordes et des crampons, comme au Cervin. Ensuite il faut traverser
le Hochfirn et gravir la dernière arête. Au sommet, quel panorama ! « L ’atmosphère
est aujourd’hui d’une limpidité telle, dit le voyageur auquel nous empruntons ces
lignes (E cho des Alpe s, 1904, p. 291), que les moindres détails se dessinent et la plaine,
qui d’habitude est recouverte d’une légère buée, se présente dans la même pureté....
L a création semble être en fête pour célébrer le Créateur; un immense recueillement
plane sur cette nature immuable en sa sauvage grandeur.... Ces tableaux-là, il faut
les voir soi-même, admirer de ses propres yeux ces gammes de couleur se soudant
les unes aux autres dans un crescendo allant à l’infini. E t ce ciel violacé au-dessus de
nos têtes descendant par degrés insensibles jusqu’à l’horizon lointain où se dessinent
le Rheinwaldhorn, la Bernina et l’Ortler. »
Nous quittons ces lieux enchanteurs et descendons avec précaution le long de la
côte très rapide qui aboutit au Rothtalsattel. L a traversée de la grande rimaie se fait
sans encombre et bientôt, dans un tourbillon de neige, nous nous laissons glisser
joyeusement sur les pentes latérales mêmes de la Jungfrau, au pied de la sombre
paroi qui assista à la mort du professeur Jean de Rougemont en 1908 et à celle des
cinq compagnons du Dr Wettstein en 1887. Le chemin de fer nous attend au Jung-
fraujoch et nous permet de rentrer rapidement et sans fatigue, par Grindelwald cette
fois, à Zweilütschinen, un site austère, grandiose où nous avons déjà passé, et Lauterbrunnen,
notre dernière étape.
Mürren et Sefinenthal.
XII
MÜRREN
Lauterbrunnen ! Nous n’avons que le temps de nous installer dans les wagons du
funiculaire, et en route pour Mürren ! Lentement nous nous élevons le long de cette
pente vertigineuse au-dessus du village qui bientôt disparaît. L a nuit est venue, un
croissant de lune se laisse apercevoir entre deux nuages ; les lumières de Wengen
s’allument et c ’est bientôt un scintillement extraordinaire sur tout ce plateau que nous
dominons de deux cents mètres au moment où nous atteignons la station terminus de
la Grütschalp (i486 m). Ici l’on change de train ; les voitures, aménagées de manière
à ce que l’on puisse jouir de la vue sans difficulté, se mettent en mouvement ; elles
semblent glisser le long d’une pente presque insensible, au travers des pâturages. Ici
et là un rideau de sapins nous cache à peine la silhouette sombre des grands monts
se profilant sur un ciel encore légèrement éclairé.
Mürren (1636 m.) ! Tout le monde descend ; l’on se disperse dans l’un ou l’autre
ALPES BERNOISES 19