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il faudrait leur fuppofer une autre échelle ou plutôt un
module différent : toutes les actions du finge tiennent
de fon éducation qui eft purement animale, elles nous
paroiffent ridicules , inconféquentes , extravagantes ,
parce que nous nous trompons d’échelle en les rapportant
à nous, & que l’unité qui doit leur fervir de
mefure eft très-différente de la nôtre ; comme fa nature
eft viv e , fon tempérament chaud, fon naturel pétulant,
qu’aucune de fes affeétions n’a été mitigée par l ’éducation
; toutes fes habitudes font exceftives & reffem-
blent beaucoup plus aux mouvenrens d’un maniaque
qu’aux aétiops d’un homme ou même d’un animal
tranquille ; c ’eft par la même raifon que nous le trouvons
indocile , & qu’il reçoit difficilement les habitudes
qu’on voudrait lui tranfmettre : il eft infenfible aux
carafes & n’obéit qu’au châtiment ; on peut le tenir
en captivité, mais non pas en domefticité ; -toujours
trifte ou revêche, toujours répugnant, grimaçant, on
le dompte plutôt qu’on ne le prive : auffi l’efpèce n’a
jamais été domeftique nulle part ; & par ce rapport,
il eft encore plus éloigné de l’homme que la plupart
des animaux : car la docilité fuppofe quelqu’analogie
entre celui qui donne & celui qui reçoit, c ’eft une
qualité relative qui ne peut être exercée que lorfqu’il
fe trouve des deux parts un certain nombre de facultés
communes, qui ne different entr’elles que parce qu’elles
font aélives dans le maître & paffives dans le fujet. Or
\p pafljf du.finge, a moins de rapport avec l ’aétif de
l ’homme,
l ’homme, que le paffif du chien ou de l’éléphant qu’il
fuffit de bien traiter pour leur communiquer les fenti-
mens doux & même délicats de l’attachement fidèle ,
de i ’obéiffance volontaire, du fervice gratuit & du dévouement
fans réferve.
Le finge eft donc plus loin de l’homme que la plupart
des autres animaux par les qualités relatives : il en diffère
auffi beaucoup par le tempérament ; l’homme peut
habiter tous les climats ; il vit , il multiplie dans ceux
du Nord & dans ceux du Midi ; le finge a de la peine
à vivre dans les contrées tempérées, & ne peut multiplier
que dans les pays les plus chauds : cette différence
dans le tempérament en fuppofe d’autres dans 1 orga-
nifàtion , qui, quoique cachées, n’en font pas moins
réelles ; elle doit auffi influer beaucoup fur le naturel ;
l ’excès de chaleur qui eft néceffaire à la pleine vie de
cet animal rend exceftives toutes fes affeétions , toutes
fes qualités ; & il ne faut pas chercher une autre caufe
à fa pétulance , à fa lubricité <3c à fes autres paffions ,
qui toutes nous paroiffent auffi violentes que défor-
données.
Ainft ce finge, quelesPhilofophes, avec le vulgaire,
ont regardé comme un être difficile à définir, dont
la nature étoit au moins équivoque & moyenne entre
celle de l’homme & celle des animaux, n’eft dans la
vérité qu’un pur animal, portant à l’extérieur un mafque
de figure humaine, mais dénué à l’intérieur delapenfée
& de tout ce qui fait l ’homme ; un animal au-deflbus
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