3 1 6 Histoire Naturelle.
ciel, il en faut encore plus pour que la terre lui tranf-
mette fes qualités; & il a fallu des fiècles joints à un
ufage toujours confiant de"s mêmes nourritures, pour
influer fur la forme des traits , fur la grandeur du corps ,
fur la fubftance des cheveux , & produire ces altérations
intérieures, qui s’étant enfuite perpétuées par la génération
font devenues les caraétères généraux & confians
auxquels on reconnoît les races & même les nations
différentes qui compofent le genre humain.
Dans les animaux , ces effets font plus prompts &
plus grands; parce qu’ils tiennent à la terre de Lien
plus près que l’homme; parce que leur nourriture étant
plus uniforme, plus confiamment la même , & n’étant
nullement préparée , la qualité en efi plus décidée &
l ’influence plus forte ; parce que d’ailleurs les animaux
ne pouvant ni fe vêtir, ni s’abriter , ni faire ufage de
l ’élément du feu pour fe réchauffer, ils demeurent
nuement expofés , & pleinement livrés à l’aélion de
l ’air & à toutes les intempéries du climat : Si c ’eft par
cette raifon que chacun d’eux a, fuivant fa nature, choifi
fa zone & fa contrée ; c ’eft par la même raifon qu’ils
y font retenus, & qu’au lieu de s’étendre ou de fe dif-
perfer comme l ’homme, ils demeurent pour la plupart
concentrés dans les lieux qui leur conviennent le mieux.
E t lorfque par des révolutions fur le globe ou par la
force de l’homme, ils ont été contraints d’abandonner
leur terre natale; qu’ils ont été chaffés ou relégués dans
des climats éloignés, leur nature a fubi des altérations fi
grandes & fi profondes, qu’elle n’ eft pas reconnoiffable
à la première vu e, & que pour la juger il faut avoir
recours à l’infpeéfion la plus attentive, & même aux
expériences & à l’analogie. Si l’on ajoute à ces caufes
naturelles d’altération dans les animaux libres, celle de
l ’empire de l’homme fur ceux qu’il a réduits en fer-
vitude, on fera furpris de voir jtifqu’à quel point la
tyrannie peut dégrader, défigurer la Nature; on trouvera
fur tous les animaux efclaves les ftigmates de leur captivité
Si l’empreinte de leurs fers ; on verra que ces plaies font
d’autant plus grandes, d’autant plus incurables, qu’elles
font plus anciennes, & que dans l’état où nous les
avons réduits, il ne ferait peut-être plus poffible de les
réhabiliter, ni de leur rendre leur forme primitive, &les
autres attributs de Nature que nous leur avons enlevés.
La température du climat, la qualité de la nourriture
Si les maux d’efclavage, voilà les trois caufes de changement
, d’altération Si de dégénération dans lesanimaux.
Les effets de chacune méritent d’être confidérés en
particulier, Si leurs rapports vus en détail nous préfen-
teront un tableau au-devant duquel on verra la Nature
telle qu’elle efi aujourd’hui , & dans le lointain, on
apercevra ce qu’elle étoit avant fa dégradation.
Comparons nos chétives brebis avec le moufflon
dont elles font iffues ; celui-ci, grand & léger comme
un cerf, armé de cornes défenfives Si de fabots épais ,
couvert d’un poil rude , ne craint ni l’inclémence de
l ’air, ni la voracité du loup; il peut non-feulement