étoit abandonné avant l’âge de trois ans. Or cette habitude
néceflàire, continuelle & commune entre la
mère & l'enfant pendant un fi long-temps fuffit pour
qu’elle lui communique tout ce qu’elle pofsède ; &
quand on voudrait fuppofer fauflement que cette mère
dans l’état de nature ne pofsède rien , pas même la
parole, cette longue habitude avec fon enfant ne fuf-
fïroit-elie pas pour faire naître une langue! ainfi cet
état de pure nature , où l’on fuppofe l’homme fans
penfée, fans parole effc un état idéal, imaginaire qui
n’a jamais exifté ; la néceffité de la longue habitude
des parens à l’enfant produit la fociété au milieu dm
défert ; la famille s’entend & par fignes & par fons, &
ce premier rayon d’intelligence, entretenu, cultivé,
communiqué a fait enfuite éclore tous les germes de
la penfée : comme l’habitude n’a pu s’exercer, fe fou-
tenir fi long-temps fins produire des fignes mutuels &
des fons réciproques, ces fignes ou ces fons toujours
répétés & gravés peu à peu dans la mémoire d e l’enfànt
deviennent des expreffions confiantes ; quelque courte
qu’en foit la lifte, c ’efl une langue qui deviendra bientôt
plus étendue, fi la famille augmente, & qui toujours
fuivra dans fa marche tous les progrès de la fociété.
Dès qu’elle commence à fe former, l’éducation de
l ’enfant n’eft plus une éducation purement individuelle,
puifque fe s parens lui communiquent non - feulement
ce qu’ils tiennent de la Nature, mais encore ce qu’ils
ont reçu de leurs aïeux & de la fociété dont ils font
partie ; ce n’eft plus une communication faite par des
individus ifolés, qui comme dans les animaux, fe bornerait
à tranfmettre leurs fimples facultés; c’eft une
inftitution à laquelle l’efpècè entière a part, & dont le
produit fait la bafe & le lien de la fociété.
Parmi les animaux même, quoique tous dépourvus
du principe penftint, ceux dont l’éducation eft la plus
longue font auïïî ceux qui paroiftent avoir le plus d’intelligence
; l’éléphant, qui dé tous eft le plus longtemps
à croître, & qui a befoin des fecours de fa mère
pendant toute la première année, eft aufti le plus intelligent
de tous : le cochon d’Inde, auquel il ne faut
que trois femaines d’âge pour prendre tout fon accroif-
fement & fe trouver en état d’engendrer, eft peut-être
par cette feule raifon l’un des plus ftupides; & à l’égard
du finge, dont il s’agit ici de décider la nature , quelque
reflemblant qu’il foit à l’homme, il a néanmoins une
fi forte teinture d’animalité qu’elle fe reconnoît dès le
moment de la naiflance ; car il eft à proportion plus
fort & plus formé que l’enfant, il croît beaucoup plus
vite , les fecours de la mère ne lui font néceflâires que
pendant les premiers mois, il ne reçoit qu’une éducation
purement individuelle , & par conféquent auffi
ftérile que celle des autres animaux.
Il eft donc animal , & malgré fa reftemblance â
l ’homme, bien loin d’être le fécond dans notre efpèce
il n’eft pas le premier dans l’ordre des animaux , puifqu’il
n eft pas le plus intelligent; c ’eft uniquement fur ce
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