celle de l’efpèce ; les fecours multipliés , les foins
continuels qu’exige pendant long-temps fon état de
foiblelfe, entretiennent, augmentent l’attachement des
pères & mères : & en feignant le corps ils cultivent
l ’efprit ; le temps qu’il faut au premier pour fe fortifier,
tourne au profit du fécond; le commun des animaux efl
plus avancé pour les facultés du corps à deux mois,
que l’enfant ne peut l’ctre à deux ans : il y a donc
douze fois plus de .temps employé à fa première éducation
, fans compter les fruits de celle qui fuit, fans
confidérer que les animaux fe détachent de leurs petits,
dès qu’ils les voient en état de fe pourvoir d’eux-mêmes;
que dès-lors ils fe féparent & bien-tôtnefe connoiffent
plus; en forte que tout attachement, toute éducation
ceffent de très-bonne heure, & dès le moment où les
fecours ne font plus néceffaires ; or ce temps d’éducation
étant fi court, le produit ne peut en être que
très-petit, & il efl même étonnant que les animaux
acquièrent en deux mois tout ce qui leur efl néceffaire
pour l’ufage du refie de la vie ; & fi nous fuppofions
qu’un enfant dans ce même petit temps devînt affez
formé, affez fort de corps , pour quitter fes parens &
s’en féparer fans befoin , fans retour, yauroit-il une
différence apparente & fenfible entre cet enfant & l’animal
î quelque fpirituels que fuffent les parens, auroient-
ils pu dans ce court efpace de temps préparer , modifier
fes organes, & établir la moindre communication de
penfées entre lciir ame & la fienne î pourroient-ils éveiller
fa mémoire, ni la toucher par des ades affez fouvent
réitérés pour y faire impreffion i pourroient-ils même
exercer ou dégourdir l’organe de la parole i II faut, avant
que l ’enfant prononce un feul mot, que fon oreillefoit
mille & mille fois frappée du même fon ; & avant qu’il
ne puiffe l’appliquer & le prononcer à propos, il faut
encore mille & mille fois lui préfenter la même com-
binaifon du mot & de l’objet auquel il a rapport :
l ’éducation, qui feule peut développer fon ame, veut
donc être fuivie long-temps & toujours foutenue ; fi
elle ceffoit, je ne dis pas à deux mois comme celle
des animaux, mais même à un an d’âge, l’ame de
i’enfant qui n’auroit rien reçu ferait fans exercice, &
faute de mouvement communiqué demeurerait inadive
comme celle de l’imbécille, à laquelle le défaut des
organes empêche que rien ne foit tranfmis ; & à plus
forte raifon, fi l'enfant étoit né dans l ’état de pure
nature f s’il n’avoit pour inflituteur que fa mère hot-
tentote, & qu’à deux mois d’âge il fût affez formé de
corps pour fe paffer de fes foins & s’en féparer pour
toujours , cet enfant ne feroit-il pas au-deffous de
l ’imbécille, & quant à l’extérieur tout-à-fait de pair
avec les animaux! mais dans ce même état de nature,
la première éducation , l’éducation de néceffité exige
autant de temps que dans l’état civil; parce que dans
tous deux, l’enfânt efl également foible , également
lent à croître ; que par conféquent il a befoin de fecours
pendant un temps égal; qu’enfin il périroit s’il
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