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de grands monumens, avec des extravagances puériles, il me semble
infiniment plus naturel d’en conclure que les prêtres égyptiens n’avaient
point d’histoire; qu’inférieurs encore à ceux des Indes, ils
n’avaient pas même de fables convenues et suivies; qu’ils gardaient
seulement des listes plus ou moins fautives de leurs rois et quelques
souvenirs des principaux d’entre eux, de ceux surtout qui avaient
eu le soin de faire inscrire leurs noms sur les temples et les autres
grands ouvrages qui décoraient le pays; mais que ces souvenirs
étaient confus, qu’ils ne reposaient guères que sur les explications traditionnelles
que l’on donnaitaux représentations peintes ou sculptées
sur les monumens, explications fondées seulement sur des inscriptions
hiéroglyphiques conçues, comme celles dont nous avons une
traduction fi), en termes très-généraux, et qui, passant de bouche
en bouche, s’altéraient, quant aux détails, au gré de ceux qui
les communiquaient aux étrangers; et qu’il est par conséquent
impossible d’asseoir aucune proposition relative à l’antiquité dés
continens actuels sur les lambeaux de ces traditions, déjà si incomplètes
dans leur temps, et devenues tout-à-fait méconnaissables sous
la plume de ceux qui nous les ont transmises.
Si cette assertion avait besoin d’autres preuves , elles se trouveraient
dans la liste des ouvrages sacrés d’Hermès, que les prêtres
égyptiens portaient dans leurs processions solennelles. Clément d’A lexandrie
(2) nous les nomme tous au nombre de quarante-deux, et
il ne s’ÿ trouve pas même, comme chez les bramines, une épopée
ou un livre qui ait la prétention d’être un récit, de fixer d’une manière
quelconque aucune grande action, aucun événement..
Les belles recherches de M. Champollion le jeune, et ses étonnantes
découvertes sur la'langue des Hiéroglyphes (3) confirment
ces conjectures, loin de les détruire. Cet ingénieux antiquaire a lu,
(f) Celle <Je Rhamestès dans Ammien, loc. cit.
(2) Stroma t . , lib. v i , page 633.
(3) Voyez le Précis du Système hiéroglyphique.des anciens Egyptiens, par M. Champollion
le jeune , page 245, et sa Lettre à M. le duc de Blacas, pages i5 et suivantes.
dans une série de tableaux hiéroglyphiques du temple d’Abydûs (i),
les prénoms d’un certain nombre de rois placés à la suite les uns
des autres; et une partie de ces prénoms(les dix derniers) s’étant retrouvés
sur divers autres monumens, accompagnés de noms propres,
il en a conclu qu’ils sont ceux des rois qui portaient ces noms propres,
ce qui lui a donné à peu près les mêmes rois e.t dans le même
ordre que ceux dont Manéthon compose sa dix-huitième dynastie,
celle qui chassa les pasteurs. Toutefois la concordance n’est pas complète
: il manque dans le tableau d’Abydos six des noms portés sur
la liste de Manéthon; il y en a qui ne ressemblent pas; enfin il se
trouve malheureusement une lacune avant le plus remarquable de
tous, leRhamsès, qui paraît le même que le roi représenté sur un si
grand nombre des plus beaux monumens avec les attributs d’un
grand conquérant. Ce serait, selon M. Champollion, dans la liste de
Manéthon, le SethoS,-chef de la dix-neuvième dynastie, qui, en effet,
est indiqué comme puissant en vaisseaux et en cavalerie, et
comme ayant porté ses armes en Chypre, en Médie et en Perse,
M. Champollion pense, avec Marsham et beaucoup d’autres, que
c’est ce Rhamsès ou ce. Sethos qui est le Sésostris ou le Sésoosis des
Grecs; et cette opinion a de la probabilité, dans ce sens que les représentations
des victoires de Rhamsès, remportées probablement
sur les nomades voisins de l’Egypte, ou tout au plus en Syrie, ont
donné lieu à ces idées fabuleuses de conquêtes immenses, attribuées,
par quelque autre confusion, à un Sésostris; mais dans Manéthon,
c’est dans la douzième dynastie, et non dans la dix-huitième, qu’est
inscrit un prince du nom de Sésostris, marqué comme conquérant
de l’Asie et de la Thrace (2). Aussi Marsham prétend-il que cette
douzième dynastie et la dix-huitième n’en font qu’une (3). Manéthon
n’aurait donc pas compris lui-même les listes qu’il copiait. Enfin,
si l’on admettait dans leur entier, et la vérité historique dé ce bas-: 1
(1) Ce bas-relief important est gravé dans le Voyage à Méroë, de M. Caillaud, tome iz,
planche xxxif.
(2) Syncell., page 5g.
(3) Canon., page 353.