C’est que chaque peuplade de Grèce qui avait conservé des traditions
isolées, les commençait par son déluge particulier, parce que
chacune d’elle avait conservé quelque souvenir du déluge universel
qui était commun à tous les peuples; et lorsque dans la suite on voufont
mention d’aucun déluge, ni du temps d’Ogygès , ni du temps de Deucalion, bien qu’ils
parlent de celui-ci comme de l’un des premiers rois des Hellènes.
Platon, dans le Timée, ne dit que quelques mots du déluge, ainsi que de Deucalion et dé
Pyrrha , pour commencer le récit de la grande catastrophe qui, selon les prêtres de Sais ,
détruisit l’Atlantide ; mais dans ce peu de mots il parle dù déluge au singulier, -comme si
c’était 1^ seul : il dit même expressément plus loin que les Grecs n’en connaissaient qu’un.
Il place le nom de Deucalion immédiatement après celui de Phoronée, le premi^deï
hommes, sans faire mention d’Ogygès ainsi, pour lu i, c’est encore un événement général,
un vrai déluge universel, et le seul qui soit arrivé. Il le regardait donc comme identique
avec celui d’ôgygès.
Aristote (Meteor., i , i4 ) semble le. premier n’avoir considéré ce déluge que comme une
inondation locale qu’il place près de Dodone et du fleuve Achéloüs , mais près de PAchélôüs
et de la Dodone de Thessalie.
Dans Apollodore (Bibl., i , § 7 ) , le déluge de Deucalion reprend toute sa grandeur et son
caractère mythologique : il arrive à l’époque du passage de l’âge d’airain à l’âge de fer.
Deucalion est le fils du titan Prométhée, du fabricateur de l’homme ; il crée de nouveau le
genré humain avec des pierres ; et cependant Atlas , son oncle, Phoronée, qui vivait avant
lui, et plusieurs autres personnages antérieurs conservent de longues postérités.
A mesure que l’on avance vers des auteurs plus récens, il s’y ajoute des circonstances de
détail qui ressemblent davantage à celles que rapporte Moïse.
Ainsi Apollodore donne à Deucalion un coffre pour moyen de salut ; Plutarque parle des
colombes par lesquelles il cherchait à savoir si les eaux s’étaient retirées, et Lucien des
animaux de toute espèce qu’il avait embarqués avec lu i, etc.
Quant à la combinaison de traditions et d’hypothèses de laquelle on a récemment cherché
à conclure que la rupture du Bosphore de Thrace a été la cause du déluge de Deucalion ,
et même de l’ouverture des colonnes d’Hercule, en faisant décharger dans l’Archipel les
eaux du Pont-Euxin, auparavant beaucoup plus élevées et plus étendues qu’elles ne l’ont
été depuis cet événement, il n’est plus nécessaire de s’en'occuper en détail, depuis qu’il a
été constaté, par les observations de M. Olivier, que si la mer Noire eût vété aussi haute
qu’on le suppose , elle aurait trouvé plusieurs écoulemens par des cols et des plaines moins
élevées que les bords actuels du Bosphore ; et par celles de M. le comte Andréossy, que
fût-elle tombée un jour subitement en cascade par ce nouveau passage, la petite quantité
d’eau qui aurait pu s’écouler à la fois par une ouverture si étroite , non seulement se serait
répandue sur l’immense étendue de la'Méditerranée sans y occasioner une marée de quelques
toises, mais que la simple inclinaison naturelle nécessaire à l’écoulement des eaux aurait
réduit à rien leur excédent de hauteur sur les bords de l’Attique.
Voyez au reste sur ce sujet la note que j’ai publiée en tête du troisième volume de l’CXvide,
de la collection de M. Lemaire.
lut assujétir ces diverses traditions à une chronologie commune, on
crut voir des événemens différens, parce que des dates toutes incertaines,
peut-être toutes fausses, mais regardées chacune dans son pays
comme authentiques , ne se rapportaient pas entre elles. Ainsi de la
même manière que les Hellènes avaient un déluge de Deucalion,
parce qu’ils regardaient Deucalion comme leur premier auteur, le9
Autochtones de l’Attique en avaient un d’Ogygès, parce que c’était
par Ogygès qu’ils commençaient leur histoire. Lès Pélages d’Arcadie
avaient celui qui, selon des auteurs postérieurs, contraignit Darda-
nus à se rendre vers l’Hellespont (i). L’île de Samothraee, l’une de
celles où il s’était le plus anciennement formé une succession de
pretres, un culte régulier et des traditions suivies, avait aussi un
déluge qui passait pour le plus ancien de tous (2), et que l’on y attribuait
à la rupture du Bosphore et de l’Hellespont. On gardait quelque
idée d’un événement semblable en Asie mineure (3) et en
Syrie (4), et par la suite les Grecs y attachèrent le nom de Deucalion
(5).
Mais aucune de ces traditions ne plaçait très-haut ce cataclisme;
aucune d’elles rie refuse à s’expliquer, quant à sa date et à ses autres
circonstances, par les variations que subissent toujours les récits
qui ne sont point fixés par l’écriture.
Les hommes qui veulent attribuer au continent et à l’établissement
des nations une antiquité très-reculée sont donc obligés de
s’adresser aux Indiens, aux Chaldéens et aux Egyptiens, trois peuples
en effet qui paraissent le plus anciennement civilisés de la race
oaucasique; mais trois peuples extraordinairement semblables entre
(1) Denys d’Halicarnasse. Antiq. rom. , lib. i , cap. lxi.
(2) Diodore de Sicile, lib; v , cap. xevii.
(3) Etienne de Byzance, voce Iconium; Zénodote, Prov., cent, vi, no. io • et Suidas
voce Nannacus.7
(4) Lucian., de Deâ Syrâ;
(5) Arnobe. Contra Gent., lib. v , p. m. i 58, parle même d’un rocher de Phrygie , d’où
l’on prétendait que Deucalion et Pyrrha avaient pris leurs pierres.^
L ’antiquité
excessive attribuée
à certains
peuples n’a rien
d’historique.