't.0 DISCOURS SUR LES RÉVOLUTIONS
N’y cherchons pas davantage les animaux mythologiques des Perses,
enfans d’une imagination encore plus exaltée ; cette martichore
ou destructeur d’hommes, qui porte une tête humaine ^ur un
G o r p s de lion, terminé par une queue de scorpion ( i ) ; ce griffon ou
gardeur de trésors, à moitié aigle, à moitié lion (2) ; ce carta-
zonon (3) ou âne sauvage, dont le front est armé d’une longue
corne.
Ctésias, qui a donné ces animaux pour existans, a passé, chez beaucoup
d’auteurs, pour un inventeur de fables, tandis qu il n avait fait
qu’attribuer de la réalité à des figures emblématiques. On a retrouve
ces compositions fantastiques sculptées dans les ruines de Persepo-
lis (4); que signifiaient-elles? nous ne le saurons probablement jamais
; mais à coup sûr elles ne représentent pas des êtres réels.
Agatharchides, cet autre fabricateur d’animaux, avait probablement
puisé à une source analogue :■ les monumens de l’Egypte nous
montrent encore des combinaisons nombreuses de parties d’espèces
diverses : les dieux y sont souvent représentés avec un corps humain
et une tête d’animal; on y voit des animaux avec-des têtes d’hommes,
qui ont produit les cynocéphales, les sphinx et les satyres des
anciens naturalistes. L ’habitude d’y représenter dans un même tableau
des hommes de tailles très-differentes, le roi ou le vainqueur
gigantesque, les vaincus ou lès sujets trois ou quatre fois plus petits,
aura donné naissance à la fable des pygmées. G’estrlans quelque recoin
d’un de ces monumens off Agatharchides aura vu son taureau
carnivore, dont la gueule, fendue jusqu’aux oreilles, n’épargnait
aucun autre animal (5), mais qu’assurément les naturalistes n’a-
(1) Plin., vin, 3i ; Arist., lib. u , cap. xi; Phot., Bibl., art. 72; Ctes, IndiC.; Ælian.,
Anim., iv ,21.
(2) Ælian, Ànim., iv. 27.-
(3) Idem, xvi, 20; Photius, Bibl. , art. 72 ; Ctes. ,-Indic.
(4) Voyez Corneille Lebrun., Voyage en Moscovie, en Perse et aux Indes, t. 11; et 1 ouvrage
Allemand de M. Heeren, sur le commerce des anciens. •
(5) Photius, Bibl., art. 25o; Agatharcliid. ,' Excerpt. hist., cap. xxxix; Ælian., Amm.,
xvii, 45 • | vm , 21.
DÉ LA SURFACE DU .GLOBE. 41
voueront pas, car la nature ne combine ni des pieds fourchus, ni
des cornes avec des dents tranchantes. .
II y aura peut-être eu bien d’autres figures, tout aussi étranges, ou
dans ceux de ces monumens qui n’ont pu résister au temps, ou dans
les temples de l’Ethiopie et dé l’Arabie, que les Mahométans et les
Abyssins ont détruits par zèle'religieux. Ceux de 1 Inde en fourmillent;
mais les combinaisons en sont trop extravagantes pour avoir
trompé quelqu’un; des monstres a cent bras, a vingt tetes toutes différentes
psont aussi par trop monstreux.
Il n’est pas jusqu’aux Japonais et aux Chinois qui n’aient des animaux
imaginaires qu’ils donnent, comiiie réels, quils représentent
même dans leurs livres de religion. Les Mexicains en ayaient. C est
l’habitude de tous les peuples, soit aux époques où leur idolâtrie
n’est point encore raffinée, soit lorsque le sens de.ces combinaisons
emblématiques a été.perdu. Mais qui oserait prétendre trouver dans
la nature ces enfans de l’ignorance ou de la superstition?
Il sera arrivé cependant que des voyageurs, pour se faire valoir,
auront dit avoir observé ces êtres fantastiques, ou que, faute d attention,
et trompés par une ressemblance légère, ils auront pris pour
eux, des êtres réels. Les grands singés auront paru de vrais cynocéphales,
de vrais sphinx, de vrais hommes à queue; c est ainsi que
Saint-Augustin aura cru avoir vu un satyre.
Quelques animaux véritables, mal observés et mal décrits, auront
aussi donné naissance à des idées monstrueuses , bien que fondées
sur quelque réalité; ainsi l’on ne peut douter de 1 existence de
l’hyène, quoique cet animal n’àit pas le cou soutenu par un seul
os ( i) , et qu’il ne change pas chaque année de sexe, comme le dit
(,) J’ai même vu, dans le cabinet de feu M. Adrien Camper, un squelette d’hyène où plusieurs
des vertèbres du cou étaient sondées ensemble.il est probable que c’est quelque-individu
semblable qui aura fait attribuer en général ce caractère à toutes les. hyènes. Cet animal doit
être plus sujet que d’autres à.cet accident, à cause de la force prodigieuse des muscles de
son cou et de l’usage fréquent qu’il en fait. Quand l’hyène a .saisi quelque chose , ïl est plus
aisé de l’attirer toute entière que de lui arracher.ee qu’elle tient; et c’est ce qui en a fait pour
les Arabes l’emblème de l’opiniâtreté invincible.
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