Preuves qu’il
y a eu des révolutions
antérieures
à l’existence
des êtres
vivans.
Elevons-nous encore; avançons vers les grandes crêtes, vers les
sommets escarpés des grandes chaînes : bientôt ces débris d’animaux
marins, ces innombrables coquilles, deviendront plus rares, et disparaîtront
tout-à-fait; nous arriverons à des couches d’une autre
nature, qui ne contiendront point de vestiges d’êtres vivans. Cependant
elles montreront par leur cristallisation, et par leur stratification
même, qu’elles étaient aussi dans un état liquide quand elles se sont
formées; par leur situation oblique, parleurs escarpemens, quelles
ont aussi été bouleversées; par la manière dont elles s’enfoncent
obliquement sous les couches coquillières, qu’elles ont été formées
avant elles; enfin, par la hauteur dont leurs pics hérissés et nus
s’élèvent au-dessus de toutes ces couches coquillières , que ces
sommets étaient déjà sortis des eaux quand les couches coquillières
se sont formées.
Telles sont ces fameuses montagnes primitives ou primordiales qui
traversent nos continens en différentes directions, s’élèvent au-dessus
des nuages, séparent les bassins des fleuves, tiennent dans leurs
neiges perpétuelles les réservoirs qui en alimentent les sources, et
forment en quelque sorte le squelette | et comme la grosse charpente
de la terre.
D’une grande distance l’oeil aperçoit dans les dentelures dont
leur crête est déchirée, dans les pics aigus qui la hérissent, des
signes de la manière violente dont elles ont été élevées : bien différentes
de ces montagnes arrondies, de ces collines à longues surfaces
plates, dont la masse récente est toujours, demeurée dans la situation
où elle avait été tranquillement déposée par les dernières mers.
Ces signes deviennent plus manifestes à mesure que l’on approche.
Les vallées n’ont plus ces flancs en pente douce, ces anglessaillans,
et rentrant vis-à-vis l’un de l’autre , qui semblent indiquer les
lits de quelques anciens courans : elles s’élargissent et se rétrécissent
sans aucune règle; leurs eaux tantôt s’étendent en lacs, tantôt
se précipitent en torrens; quelquefois leurs rochers se rapprochant
subitement, forment des digues transversales, d’où ces
mêmes eaux tombent en cataractes. Les couches déchirées, en montrant
d’un côté leur tranchant à pic, présentent de l’autre obliquement
de grandes portions de leur surface : elles ne correspondent
point pour leur hauteur;; mais celles qui, d’un côté, forment le
sommet de l’escarpement, s’enfoncent de l ’autre et ne reparaissent
plus.
Cependant, aumilieu de tout ce désordre, de grands naturalistes
sont parvenus à démontrer qu’il règne encore un certain ordre, et
que ces bancs immenses, tout brisés et renversés qu’ils sont, observent
entre eux une succession qui est à peu près la même dans toutes
les grandes chaînes. Le granit, disent-ils, dont les crêtes centrales
de la plupart de ces chaînes sont composées, le granit qui dépasse
tout, est aussi la pierre qui s’enfonce sous toutes les autres, c’est la
plus ancienne de celles qu’il nous ait été donné de voir dans la place
que lui assigna la nature, soit qu’elle doive son origine à un liquide
général qui, auparavant, aurait tout tenu en dissolution, soit qu’elle
ait été la première fixée par le refroidissement d’une grande masse
en fusion ou même en évaporation (i), Des roches feuilletées s’appuient
sur ses flancs, et forment les crêtes latérales de ces grandes
chaînes; des schistes, des porphyres, des grès, des roches talqueuses
se mêlent à leurs couches; enfin des marbres à grains salins, et
d’autres calcaires sans coquilles , s’appuyant sur les schistes, forment
les crêtes extérieures, les échelons inférieurs, les contreforts de ces
chaînes, et sont le dernier ouvrage par lequel ce liquide inconnu ,
cette mer sans habitans semblait préparer des matériaux aux mollusques
et aux zoophytes, qui bientôt devaient déposer sur ce fonds
d’immenses amas de leurs coquilles ou de leurs coraux. On voit même
les premiers produits de ces mollusques, de ceszoophytes, se mon-
(i) La conjecture de M. le marquis de Laplace , que les matériaux dont se compose le globe
ont pu être d’abord sous forme élastique, et avoir pris successivement en se refroidissant la
consistance liquide, et enfin s?être solidifiés, est bien renforcée par les expériences récentes
de M. Mitcherlick, qui a composé de toutes pièces et fait cristalliser par le feu des hauts
fourneaux plusieurs des espèces minérales qui entrent dans la composition des montagnes
primitives.