L E S T A T O U S * .
J L jo r s q u e i’on parie d ’un quadrupède , il femblc
que le nom feul emporte l’idée d ’un animal couvert de
poil : & de même lorfqu’il eft queftion d ’un oifeau ou
d ’un poiffon , les plumes & les écailles s’offrent à l’imagination
, & paroiffent être des attributs inféparables de
ces êtres. Cependant la N ature, .comme fi elle vouloit
fe fouftraire à toute méthode & échapper à nos vues
les plus générales , dément nos idées , contredit nos
dénominations, méconnoît nos caraétèrès & nous étonne
encore plus par fes exceptions que par fes loix. Les
animaux quadrupèdes qu’on‘doit regarder comme faifant
la première chiffe de la Nature vivante, & qui'font, après
l’hom m e, les êtres les plus remarquables de ce monde,
ne font néanmoins ni fupérieurs en tout, ni féparés par
des attributs conftans , ou des caraétèrès uniques de
tous les autres êtres. Le premier de ces caraétèrës, qui
conftitue leur nom & qui confifte à avoir quatre pieds ,
fe retrouve dans les lézards , les grenouilles , &c.
lefquels néanmoins diffèrent des quadrupèdes à tant
* Tatu ou Tatou, nom générique de ces animaux au Brefil. TatuJIa,
félon Maffée. Hifîoire des Indes. Paris, t 6 Sƒ , page 6ß . Les E s pagnols
ont appelé ces animaux Armadillo. Nous avons rejeté cette
dernière dénomination, parce qu’on l’a également appliquée au pangolin
& au phatagin qui fönt des animaux très-diflerens des tatous poiuTeipèce
& pour le climat. d ’autres
d e s T a t o u s .
d’autres égards, qu’on en a fait avec raifon une claffe
féparée. La fécondé propriété générale , qui eft de
produire des petits vivans, n’appartient pas uniquement
aux quadrupèdes , puifqu’elle leur eft commune avec
les cétacées. Et enfin le troifième attribut qui paroif-
foit le moins équivoque, parce qu il eft le plus apparent,
& qui confifte à être couvert de poil, fe trouve> pour
ainfi dire, en contradiétion avec les deux autres dans
plufieurs efpèces qu'on ne peut cependant retrancher de
l’ordre des quadrupèdes, puifqu’à l’exception de ce feul
caraétère, elles leur reffemblent par tous les autres. Et
comme ces exceptions apparentes de la Nature ne font
dans le réel que les nuances qu’elle emploie pour rapprocher
les êtres même les plus éloignes ; il faut ne pas
perdre de vue ces rapports finguliers & tâcher de les
faifir à mefure qu’ils fe préfentent. Les tatous, au lieu de
poil, font couverts comme les tortues, les écreviffes &
les autres cruftacées d ’une croûte ou d un tet folide;
les pangolins font armés d’écailles affez femblables a
celles des poiffons; les porc-épies portent des efpèces
de plumes piquantes & fans barbe, mais dont le tuyau
eft pareil à celui des plumes des oifeaux ; ainfi dans la
claffe feule des quadrupèdes, & par le caraétère même
le plus confiant & le plus apparent des animaux de cette
claffe, qui eft d ’être couverts de poils, la Nature varie en
fe rapprochant de trois autres claffes très-differentes, <5c
nous rappelle les oifeaux, les poiffons à écailles & les
cruftacées. Auffi fàut-il bien fe garder de juger la nature
Tome X . C e