
ture, & l’homme s’obftiner à ne les confidérer que
fous leurs prétendus rapports avec la gùérifon des
maladies, ou leur attribuer des effets furnaturels
& merveilleux. C ’tft ainfi. qu’à force de vouloir
tout rapporter à lui, courant après des chimères
qui flattoient Ton imagination , il îaiffoit échapper
la plus belle, la plus douce des jouiffances, celle
de confidérer la nature en elle-même. D’ailleurs-,
les noms vulgaires & empiriques plaifem beaucoup
plus à la multitude que les noms fcientifi-
ques.; on en connoît aifément la raifon , mais l’on
conçoit auffi qu’ils fontinfuffifans lorfque l’on veut
étudier les plantes avec méthode. Les noms vulgaires
feuls ifolent chaque plante, n’indiquent aucune
forte de rapports : tels font ceux d’orvale ,
À’ormin , de toute - bonne, qui font autant de
fauges ; le charnu, dry s } le folium , le cham&pithis. ,
efpèces de teucrium, &rc. ; '& lorfque ces noms
offrent des rapprochemens entre plusieurs plantes ,
ils ne préfentent fouvent que des erreurs : tels font
le laurier-rofe , le laurier-thym , Je laurier Saint-
Antoine , le ‘laurier-cerise, &c. qu'me font point du
tout des lauriers, quoiqu’ ils aient avec eux quelque
rc-ffemblance par la forme de leurs feuilles :
il faut en dire autant de Xortie blanche , de Xortie
morte, &c. ; ils font encore très-fouvent erronés
quand ils font fignifiçatifs , Xherbe aux hernies, au
cancer, &c.
La renaiffance des lettres en Europe ramena
l’homme à des idées plus judicieufes. Sans renonce^
à cette confiance aveugle aux propriétés médicinales
des plantes , qu’on regarda toujours
comme le but principal de leur étude, on fongea
enfin à les étudier en elles-mêmes , à les obferver
dans leur organifation, à diftinguer les différentes
parties qui les conflit lient, à les décrire avec plus
de précifion : on s’occupa auffi à corriger leur
nomenclature, à la fixer; mais il fallut encore
plufieurs fîècles pour opérer cette réforme, &
amener la fcience au point de perfection où elle
fe trouve aujourd’hui.
Les anciens botaniftes ne donnèrent affez généralement
qu’un feul nom aux plantes, n’ayant
prefque point l ’idée de réunir fous un même nom
générique, les efpèces rapprochées naturellement
par un certain nombre de caractères communs;
par exemple, les noms de cham&drys, de teucrium,
de beccabunga3 donnés à plufieurs efpèces qui appartiennent
au genre véronique-, offroient ifolément
des plantes fans rapprochement, mal décrites,-
difficiles à reconnoître. Peu à peu on en vint à i
réunir plufieurs plantes fous une dénomination \
générique, en y ajoutant quelques épithètes qui •
paroifïoient les diftinguer, veronica mas, ferpens, ]
Do don; — veronica ajfurgens 3 Do don; —- veronica 1
major, latifolia , Cluf. ; -— Veronica reffia } minor , j
Cluf. Ces caractères fe trouvent un peu plus pré- I
cifés dans Cafpar l Bauhin : les genres , ainfi que |
dans Léclufe. & plufieurs autres 3i commencent, à. «
s’y montrer ; mais ces dénominations génériques
font fouvent appliquées à beaucoup de plantes qui
ne comportent point une telle alfuciàtion ; elles
ne font très-fouvent rapprochées que d’après leur
port, ou la reffemhlance vague de quelques-unes
de leurs parties: mais aucun caraCtère n’étoitattaché
au nom principal, qui depuis eft devenu un
nom générique, & fous lequel viennent fe ranger.,
comme autant d’efpèces, toutes les plantes qui
poffèdent les mêmes attributs dans les parties de
leurs fleurs, mais qui diffèrent entr’elles dans des
parties moins Vffentielles, telles que dans leur
port, leurs feuilles, leur inflorefcence, &ç,
Ainfi s’établit une nomenclature plus raifonnée:
Tournefort la préfenta pour les genres, Linné
pour les efpèces, en précifant davantage les genres
de Tournefort, & fubftituant auxphrafes des anciens
deux noms pour chaque plante, celui du
j»snre.& celui de Lefpèce. Des méthodes ingé-
nieufes, imaginées enfuite pour la diftribution des
plantes groupées par genres, ont achevé de rendre
l’étude de la botanique auffi agréable qu’intéref-
fante. Ce font autant de routes qui nous condui-
fent à la plante que nous voulons connoître. Avec
quel plaifir on les parcourt, dès qu’une fois on
en a l’entrée ! elles font femées du débris des
fleurs, embaumées parleurs parfums, embellies
par leurs formes aimables. Touver le nom d’une
plante , c’éft, dans l’état aCluel de la fcience , un
véritable problème affez facile à réfoudre, dès
qu’on s’y eft un peu exercé. 11 occupe l’efprit fans
le fatiguer, le réjouit, le diftrait, & flatte d’autant
plus l’amour-propre, que nous tenons davantage
aux vérités que nous découvrons par nous-mêmes.
Quel aimable fpeéfcacle que la vue d’une jeune
perfonne occupée à éparpiller de fes doigts délicats
les pétales d’une rofe, d’un oeillet, à compter
le nombre des étamines & dés piftils, à obferver
la formé des fruits & celle des femences ! Sous les
dehors d’un jeu enfantin, elle fe ménage des dif-
traCfcions agréables ; elle charme la folitude de la
campagne & des bois. La fcience, qui effraie fouvent
par fon abord, ne fe montre nulle part fous
un afpeCt auffi féduifant : ici elle fe cache fous les
rofes, quand partout ailleurs elle fe hériffe d’épines.
Linné , outre la réforme qu’il a introduite dans
la nomenclature des plantes, en réduifant chaque
efpèce à deux noms, a de plus établi une fuite de
principes pour le choix de ces noms, afin d’éviter
toutes ces expreffions barbares, infignifiantes, ridicules,
dures à l’oreille, dont on faifoit ufage
avant lui : mais il en eft réfulté deux grands in-
convéniens, dont on ne peut accufer cet homme
célèbre, mais plutôt le refus confiant, chez plufieurs
botaniftes, de fe foumettre à ces règles,
ou, chez d’autres; une adhéfion trop fcrupuleufe
à ces mêmes règles. Parmi les premiers, Adanfon
s’eft montré l’antagonifte le plus acharné contre la
réforme linhéenne. Après une critique amère cië
fes principes, il a propofé de nouvelles règles diamétralement
oppofées à celles de Linné, & d’apres
lefquelles il a changé, une grande partie des noms
modernes. Heureufement il na eu qu un petit
nombre d’imitateurs; il en eft réfulté qu’on lit peu
fes Familles des plantes, ouvrage néanmoins qui
renferme de grandes vues & d’excellentes obfer^
vations. Puiffe cet oubli dans lequel éft refté un
des bons ouvrages qui ait été publié fur les plantes,
détourner tous ceux qui, par un certain efprit
d’originalité ou par tout autre motif, voudroient
prendre Adanfon pour modèle S
D’autres font tombés dans un défaut contraire.
En admettant les principes de_Linné fur le choix
des noms fans aucune reftri&ion, ils y tiennent
avec une telle rigueuir, qu’ils changent continuellement
tout nom générique qui s ’en écarte. Il
fuit de-là qu’en foumettanÉ la nomenclature à l’opinion
des différens botaniftes, il fera de toute
impoffibilité de la fixer, & que les plantes.rece-
vront autant de noms qu’ il y aura d’opinions différentes
: les uns veulent que les noms foient primitifs
& infignifians ; d’autres, qu’ils foient figni-
ficatifs, étymologiques, comparatifs, &c.
Les noms fignifiçatifs , tant qu'ils ne feront
point erronés, ou lorfqu'ils n’exprimeront pas un
caraélère commun à plufieurs efpèces , l’emporteront
toujours fur ceux qui font infignifians,
quoique ces derniers aient l’avantage de pouvoir
être confervés fans éprouver aucun changement,
tandis que les premiers perdent fouvent leur lignification
exclufive par la découverte de nouvelles
efpèces : en voici la preuve évidente. Je fuppofe
qu’un genre ne foït d’abord compofé que de deux
efpèces , l'une à feuilles entières , l’autre à feuilles
dentées : elles fe trouvent dès-lors très-bien ca-
radtérifées par ces deux expreffions; mais fi l’on
vient à découvrir plufieurs autres efpèces douées
des mêmes caractères, les premiers noms n’offrent
plus un caraCtère fpécifique, mais peut-être un de
ibus-divifion. Malgré cet- inconvénient onde préfère
, parce que l’imagination aime à fe repréfen-
ter, même avant de le connoître, l’objet qu’on lu»
nomme. Ces noms font tantôt pofttifs, lorfqu’ils
annoncent des qualités inhérentes aux efpèces , ’
comme les véroniquess en épis , h petites fleurs , a
feuilles entières, incifé'es-, pectinées, &c .; tantôt
comparatifs, lorfqü’on rapproche les efpèces d’autres
plantes déjà connues, & auxquelles elles ref-
femblent par quelques-unes de leurs parties,
comme la véronique a feuilles de lierre 3 a feuilles
de faule, de pâquerette, &c. On compare encore ,
mais moins heureufement, certaines parties des
plantes à des êtres pris hors .du régne végétal,
Comme le plantain en corne de cerf, &c.
Linné, dont l’imagination étoit auffi brillante
que Con efprit étoit jufte & fa conception profonde
, forcé , d’après fes principes, à n’employer
dans fes descriptions que les termes rigoureusement
néceffaires, a plufieurs fois effayé d en
adoucir la féchereffe en faifant ufage de noms
allégoriques, tant pour les genres que pour les
efpèces : il l’avoit déjà exécuté pour l'etabtifle-
menc de fes claffes fondées fur les noces des plantés,
divifées d’après le nombre des maris (les
étamines ) & des femmes ( les ftyles ) réunis dans
le même lit nuptial, ou placés dans des lits fé-
parés.- L ’emploi des noms génériques lui offroit
encore plus de moyens de varier fes' aimables ai-
légôries. Une plante fe préfente avec des feuilles
profondément divifées en deux lobes ; ce font
prefque deux feuilles réunies par leur bafe : Linné
y attache le nom de bauhinia, en l’honneur des
deux frères Bauhin, les reftaurateurs à jamais
célèbres de la botanique* Linné avoit reçu des
fervices particuliers, & furtout des plantes, de
MM. Dalbergefrères,Tun chirurgien, l’autre riche
négociant des Indes * il leur dédie, fous le nom
de daïbergia , un genre compofé de deux efpèces,
diftinguées par la forme de leurs gouffes, & il profite
fi ingénieufement de leur différence, qu’il
nomme la première daïbergia lanceolaria à caufe
de fes fruits en forme de lancette; la fécondé
daïbergia monetaria, donc les fruits comprimes ,
ovales-arrondis, pffrojent la forme d’une pièce de
monnoie , fàifant âllufiori à la profeffion des deux
frères. Nous tenons cette anecdote de M. Vahl,
élève de Linné.
Des auteurs plus modernes, profitant ou plutôt
abufant de cette aimable conception de Linné,
l’ont convertie en allufions épigrammatiques : ils
ont plufieurs fois dénigré, par des expreffions ma-
licieufes, ceux qu’ils regardoient comme des rivaux
dangereux dans une carrière que la feule
ambition leur avoit ouverte ; abus déplorable de
là fcience, plus flétriffam pour l’auteur qui s’)f
livre, que pour celui qui en eft l’objet ; abirs qui
n’entrera jamais dans le coeur de ceux qui n’étu- .
dient dans les productions de la nature que la
grandeur de fon auteur. Attacher à une plante un
nom d’homme, y ajouter une épithète injurieufe,
c’eft, avec les lumières de 1 inftruCtion, verfer
dans l’efprit le fiel amer de la fat ire, & introduire
un vice de plus dans la. fociété ,. j ofecois dire dans
lés fciences, que les hommes ont trop fouvent
déshonorées, en ne les abordant qu’avec leurs
paffipos; J2 ne citerai aucun exemple de cet abus
mépfifàble; le leCfeur honnête en devinera aife-
ment là raifon , & rejettera avec mépris cette
odieufe nomenclature : mais je ne cefferai de répéter,
avec les botaniftes les plus célèbres, que
dès qu’un nom a été donné à une plante , il doit
lui être fcrupuleufement confervé, quelle que foit
l’opinion particulière dé chaque individu. C’êft un
titre facré qu’ il n’eft permis à qui que ce foit de
détruire, à moins que ce nom ne foit effentielle-
I ment ridicule & barbare : autrement la confufion
! & le défordre s’introduitoienc tellement dans le
O 2.