On a vu des bourgades compofées de vingt ou de vingt-
cinq cabanes ; ces grands établiflemens font rares , &
cette efpèce de république eft ordinairement moins
nombreufe, elle n’eft Je plus fouvent compofce que de
dix ou douze tribus , dont chacune a fon quartier, fbn
magafin ; fon habitation féparée ; ils ne loufïrent pas
que des étrangers viennent s’établir dans Jeurs enceintes.
Les plus petites cabanes contiennent deux-, quatre, fix,
& les plus grandes dix-huit, vingt, & même, dit-on,
jufqu’à trente caftors, prefque toujours en nombre pair,
■ autant de femelles que de mâles; ainfi ,• en comptant
même au rabais, on peut dire que leur fociété eft fou-
vent compofée de cent cinquante ou deux cens ouvriers
alfociés , qui tous ont travaillé d’abord en corps pour
élever le grand ouvrage public , & enfuite par compagnie
pour édifier des habitations particulières. Quelque
nombreufe que foit cette fociété , la paix s’y maintient
làns altération ; le travail commun a relferré leur union ;
les commodités qu’ils fe font procurées, l’abondance des
'vivres qu’ils amaffent & confomment ienfemble , fervent
à l’entretenir ; des appétits modérés , des goûts fimples,
de l’averfion pour la chair & le fang, leur ôtent jufqu a
l ’idée de rapine & de guerre : ils jouiffent de tous les
biens que l ’homme ne (ail que defirer. Amis enùreux,
s’ils ont Quelques cnne'mis au dehors, ils lavent les éviter,
.ils s’avertiflent en frappant avec leur queue fur l’eau un
coup qui retentit au loin dans toutes les voûtes des habitations
; chacun prend fon parti, ou de plonger dans le
lac , ou de fe receler dans leurs murs qui ne craignent
que le feu du ciel ou le fer de. l’homme, & qu’aucun
animal n’ofe . entreprendre d’ouvrir ou renverfer. Ces
alyles font non feulement très - fïirs :, mais encore très-
propres & très -commodes ; le plancher eft jonché de
verdure; des rameaux de buis & de lapin leur fervent
de tapis, fur lequel ils ne font ni ne fouffrent jamais
aucune ordure: la fenêtre qui regarde for l ’eau leur fort
de balcon, pour fo tenir au frais & prendre le bain pendant
la plus grande partie du jour ; ils s’y tiennent debout
, la tête & les parties antérieures du corps élevées,
& toutes les parties poftérieures plongées dans l’eau;
cette fenêtre efl percée avec précaution , l’ouverture en
eft alfez élevée pour ne pouvoir jamais, être fermée par
les glaces qui i dans le climat de nos caftors, ont quelquefois
deux ou trois pieds d’épaiffeur ; ils en abailfont
alors la tablette, coupent en pente les pieux fur lefqueis
elle étoit appuyée*, & fe font une ilfoe jufqu’à l’eau fous;
la glace. Cet élément liquide leur efl fi nécefiâire , ou
pluftôt leur fait tant de plaifir, qu’ils femblent ne pouvoir
s’en palier ; ils .vont quelquefois allez loin fous la
glace, c ’efl alors qu’on les prend aifément en attaquant
d’un côté la. cabane , & les attendant en même temps
à un trou qu’on pratique dans la glace à quelque dil-
tance , & où ils font obligés d’arriver pour reipirer.
L ’habitude qu’ils ont de.tenir continuellement la queue
& toutes les parties poftérieures du corps dans l’eau,
paraît avoir changé la nature de leur chair ; celle des