ils établirent cette digue eft ordinairement peu profond;
s’il fe trouve fur le bord un gros arbre qui puifle
tomber dans l’eau , ils commencent par l’abattre
pour en faire la pièce principale de leur confhuétion :
cet arbre elt fouvent plus gros que le corps d’un
homme ; ils le fcient , ils le rongent au pied , 6c fans
autre infiniment que leurs quatre dents incifives ils le
coupent en allez peu de temps , & le font tomber du
cote qu il leur plaît, ç ’efl-à-dire en travers fur la rivière;
enlùite ils coupent les branches de la cime de cet arbre
tombé, pour le mettre de niveau & le faire porter partout
également. Ces opérations fe font en commun ;
plulieurs caftors rongent enfemble le pied de l ’arbre
pour l’abattrè , plufieurs auffi vont enfemble pour en
couper les branches lorfqu’il ell abattu ; d’autres parcourent
en même temps les bords de la rivière, 6c
coupent de moindres arbres , les uns gros comme la
jambe, les autres comme la cuilfo; ils les dépècent &
les fcient à une certaine hauteur pour en faire des pieux ;
ils amènent ces pièces de bois d’abord par terre jufqu’au
bord de la rivière, $ enfuite par eau jufqu’au lieu de leur
conltruétion ; ils en font une elpèce de pilotis ferré>,
qü ils enfoncent encore en entrelaçant des branches
entre les pieux. Cette opération fuppofe bien des difficultés
vaincues; car pour drefîer ces pieux & les mettre
dans une lituation à peu près perpendiculaire , il faut
qu avec les dents ils élèvent le gros bout contre le bord
de la rivière, ou contre l’arbre qui la traverfe ,• que
d autres plongent en même temps jufques au fond de
l’eau pour y creufer avec les pieds de devant un trou,
dans lequel ils font entrer la pointe du pieu, afin qu’il
puiffe fe tenir debout. A mefure que les uns plantent
ainfi leurs pieux, les autres vont chercher de la terre
qu’ils gâchent avec leurs pieds 6c battent avec leur
queue; ils la portent dans leur gueule 6c avec les pieds
de devant, 6c ils en tranfoortent une fi grande quantité,
qu’ils en rempliffent tous les intervalles de leur pilotis.
Ce pilotis ell compofé de plufieurs rangs de pieux,
tous égaux en hauteur, 6c tous’’ plantés les uns contre
les autres ; il s’étend d’un bord à l’autre de la rivière, il
ell rempli 6c maçonné par-tout: les pieux font plantés
verticalement du côté de la chute de l ’eau ; tout l’ouvrage
elt au contraire en talus du côté qui en foûtient
la charge, en forte que la chauffée qui a dix ou douze
pieds de largeur à fa bafe , fe réduit à deux ou trois
pieds d’épaiffeur au fommet ; elle a donc non feulement
toute l’étendue , toute la folidité nécefîâire, mais encore
la forme la plus convenable pour retenir l’eau, l ’empêcher
depaffer, en foûtenir le poids, 6c en rompre les efforts.
Au haut de la chauffée, c ’eft-à-dire, dans la partie où
elle a le moins d’épaiffeur, ils pratiquent deux ou trois
ouvertures en pente, qui font autant de décharges de
fuperficie qu’ils élargiffent ou rétréciffent félon que la
rivière vient à hauffer ou baiffer; & lorfîjue par des
inondations trop grandes ou trop fubites il fe fait
quelques brèches à leur digue, ils favent les réparer,
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