L E C A S T O R . *
A u t a n t l’homme s’eft élevé au deffus dé l’état
de nature, autant les animaux fe font abaiffés au deffous ;
fournis 6c réduits en fervitude , ou traités comme rebelles
6c difperféspar la force, leurs fociétés fe font évanouies,
leur induftrie elî devenue ftérile, leurs foibles arts
ont difparu, chaque efpèce a perdu fes qualités générales,
& tous n’ont confèrvé que leurs propriétés individuelles,
perfectionnées dans les uns par l’exemple, l’imitation,
l ’éducation, 6c dans les autres par la crainte 6c par la
nécelîité où fis font de veiller continuellement à leur
fureté. Quelles vûes, quels deffeins, quels projets peuvent
avoir des efclaves fins ame, ou des relégués fàns puiflànce !
ramper ou fuir, 6c toujours exifter d’une manière folitaire,
ne rien édifier, ne rien produire, ne rien tranfmettre,
& toujours languir dans la calamité, déchoir, fe perpétuer
fans le multiplier, perdre en un mot par la durée autant
& plus qu’ils n’avoient acquis par le temps.
* Le Caltor ou le Bièvre; en Grec, xdcap; en Italien, Bivaro,
Bevero; en Efpagnol, Bevaro ; en Allemand, Biber; en Anglois,
Beaver; en Suédois, Baeffmr; en Polonois, Bobr.
Caßor. Geiiier, Hiß. quadrup, pag. g o g. Icon. quadrup. pag. $4,
Caßorßveßber. Ray, Synopf. animal, quadrup. pag. 2.0g,
Caßor caudâ ovatâ plana, fiber. Linnaeus.
Caßor, fiber. Klein, de quadrup. pag. g 1.
Caßor caßanei coloris, caudâ horifontaliter planâ. Caßor ßve ßbir.
Briiîon, Regn. animal, pag. 1 g g.
Aulîl ne refte-t-il quelques veftiges de leur merveil-
leufè induftrie, que dans ces contrées éloignées 6c de-
fertes, ignorées de l’homme pendant une longue fuite de
fiècles, où chaque efpèce pouvoit manifefter en liberté
fes talens naturels 6c les per-feélionner dans le repos en
fe réunifiant en fociété durable. Les caftors font peut-être
le feul exemple qui fubfifte comme un ancien monument
de cette efpèce d’intelligence des brutes, qui, quoique
infiniment inférieure par fbn principe à celle de l’homme,
fuppofè cependant des projets communs & des vues
relatives; .projets qui ayant pour bafë la fociété, de pour
objet une digue à conftruire, une bourgade à élever,
une efpèce de république à fonder, fûppofent auffi une
manière quelconque de s’entendre & d’agir de concert.
Les caftors, d ira -t-on, font parmi les quadrupèdes
ce que les abeilles font parmi les infeétes. Quelle
différence ! Il y a dans la Nature, telle qu’elle nous eft
parvenue , trois efpèces de fociétés qu’on doit confi-
déreravant de les comparer; la fociété libre.de l’homme.,"
de laquelle, après D ieu , il tient toute là puiflànce ; la
fociété gênée des animaux , toûjours fugitive devant
celle de l’homme ; 6c enfin la fociété forcée de •quelques
petites bêtes, qui naiflànt toutes en même temps dans
le même lieu, font contraintes d’y demeurer enfemble.
Un individu, pris folitairement 6c au fortir des mains
de la Nature , n’eft qu’un être ftérile , dont l’induftrie
fe borne au fimple ulàge des fens; l’homme lui-même,
dans l’état de pure nature , dénué de lumières 6c de
N n ij