tous les fecours de la fociété, ne produit rien, n’édifie
rien. Toute fociété, au contraire, devient nécef-
fairement féconde , quelque fortuite, quelque aveugle
qu’elle puifle être , pourvû qu’elle foit compofée
d’êtres de même nature : par la feule néceffitë de le
chercher ou de s’éviter, il s’y formera des mouvemens
communs , dont le réfiiltat fera fouvent un ouvrage
qui aura l’air d’avoir été conçu, conduit 6c exécuté
avec intelligence. Ainfi l ’ouvrage des abeilles qui, dans
un lieu donné, tel qu’une ruche ou le creux d’un vieux
arbre , bâtiffont chacune leur cellule ; l’ouvrage des
mouches de Cayenne , qui non feulement font auffi
leurs cellules, mais conftruifent même la ruche qui doit
les contenir, font des travaux purement méchaniques
qui ne fiippofent aucune intelligence, aucun projet concerté
, aucune vûe générale; des travaux qui n’étant
que le produit d’une nécelfité phyfique, un réfoltat
de mouvemens communs *, s’exercent toûjours de la
même façon, dans tous les temps & dans tous les
lieux , par une multitude qui ne s’eft point affemblée
par choix , mais qui fe trouve réunie par force de
nature. C e n’efl donc pas la fociété, c ’eft le nombre
foui qui opère ici ; c'efl une puilîànce aveugle , qu’on
ne peut comparer à la lumière qui dirige toute fociété :
je ne parle point de cette lumière pure , de ce rayon
divin, qui n’a été départi qu’à l’homme foui ; les caftors
* Voyez les preuves que j’en ai données, Volume I V de cet Ouvrage
dans le Dîfcours lur la nature des animaux.
en font affurément privés, comme tous les autres animaux":
mais leur fociété n’étant point une réunion
forcée , fe faifant au contraire par une efpèce de choix,
& fuppofant au moins un concours général 6c des
vues communes dans ceux qui la compofent, fuppofe
au moins auffi une lueur d’intelligence qui, quoique
très-différente de celle de l’homme par le principe ,
produit cependant des effets affez femblables pour qu’on
puiffe les comparer, non pas dans la fociété plénière &
puiffante , telle qu’elle exifte parmi les peuples anciennement
policés, mais dans la fociété naiffante chez des
hommes fauvages , laquelle feule peut , avec équité ,
être comparée à celle des animaux.
Voyons donc le produit de l’une & l’autre de ces
fociétés ; voyons jufqu’pù s’étend l’art du caflor , 6c
où fe borne celui du fauvage. Rompre une branche
pour s’en faire un bâton , fe bâtir une hutte, la couvrir
de feuillages pour fo mettre à l’abri, amaffer de ja
moufle ou du foin pour fo faire un lit, font des aétes
communs à l’animal & au fauvage ; les ours font des
huttes, les finges ont des bâtons ^ plufieürs autres animaux
fe pratiquent un domicile propre , commode ,
impénétrable à l’eau. Frotter une pierre pour la rendre
tranchante 6c s’en faire une hache , s’en fervir pour
couper, pour écorcer du bois, pour aiguifer des flèches,
pour creufer un vafe, écorcher un animal pour fe revêtir
de fà peau, en prendre les nerfs pour faire une
corde d’arc, attacher ces mêmes nerfs à une épine
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