88 H i s t o i r e N a t u r e l l e
fur la forme d’une manière affez fenfible : la grandeur,
par exemple, qui eft un des attributs de la forme, varie
dans chaque efpèce fuivant les différens climats ; la
qualité, la quantité de la chair, qui font d’autres attributs
de la forme, varient fuivant les différentes nourritures,
Cette matière organique que l’animal affimile à fon
corps par la nutrition, n’eft donc pas abfolument indifférente
à recevoir telle ou telle modification, elle n’eft
pas abfolument dépouillée de la forme qu’elle avoit
auparavant, & elle retient quelques caraétères de l’empreinte
de fon premier état ; elle agit donc elle-meme
par fà propre forme fur celle du corps organifé quelle
nourrit; & quoique cette aétion foit prefque infenfible,
que même cette puiffance d’agir foit infiniment petite
en comparaifon de la force qui contraint cette matière
nutritive à s’affimiler au moule qui la reçoit, il doit en
réfulter avec le temps des effets très-fenfibles. Le cerf,
qui n’habite que les forêts, & qui ne v it, pour ainfi dire,
que de bois, porte une efpèce de bois, qui n’eft qu’un
réfidu de cette nourriture: ie caftor,qui habite les eaux,
& qui fe nourrit de poiffon, porte une queue couverte
d’écailles : la chair de la loutre & de la plufpart des
oifeaux de rivière eft un aliment de carême, une efpèce
de chair de poiffon. L ’on peut donc préfumer que des
animaux auxquels on ne donnerait jamais que la même
efpèce de nourriture, prendraient en affez peu de temps
une teinture des qualités de cette nourriture, & que,
quelque
Quelque forte que foit l’empreinte de la Nature, fi l’on
continuoit toujours à ne leur donner que le même
aliment, il en réfulteroit avec ie temps une efpèce de
transformation par une affimilation toute contraire à la
première ; ce ne ferait plus la nourriture qui s’affimileroit
en entier à la forme de l’animai, mais l’animal qui.
s’affimileroit en partie à la forme de la nourriture,
comme on le voit dans le bois*du cerf & dans la queue
du caftor.
Le bois, dans le cerf, n’eft donc qu’une partie accef-
foire, &,pour ainfi dire, étrangère à fon corps, une
produélion qui n’eft regardée comme partie animale
que parce qu’elle croît fur un animal, mais qui eft
Vraiment végétale, puifqu’eile retient les caraétères du
végétal dont elle tire fà première origine, & que ce
bois reffemble au bois des arbres par la manière dont il
croît, dont il fe développe, fe ramifie, fe durcit, fe feche
& fe fépare ; car il tombe de lui-même après avoir pris
fon entière folidité, & dès qu’il ceffe de tirer de la
nourriture, comme un fruit dont le pédicule fe détache
de la branche dans le temps de fa maturité : le nom
même qu’on lui a donné dans notre langue, prouve bien
qu’on a regardé cette produélion comme un bois , &
non pas comme une corne, un os, une défenfe, une
dent, &c. Et quoique cela me paroiffe fufïïfàmment
indiqué, & même prouvé, par tout ce que je viens de
dire ,-je ne dois pas oublier un fait cité par les Anciens*
l ’orne VL M