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la grande deftruélion de cette efpèce, qui n’efl déjà
pas trop commune : j’en ai la preuve par ma propre
expérience. J ’habite fouvent une campagne dans un
pays *, dont les chevreuils ont une grande réputation ;
il n’y a point d’années qu’on ne m’apporte au printemps
plufieurs faons, les uns vivans pris par les hommes,
d’autres tués par les chiens ; en forte que fans
compter ceux que les loups dévorent, je vois qu’on
en détruit plus dans le feul mois de mai, que dans
le cours de tout le refte de l’année : & ce que j’ai
remarqué depuis plus de vingt-cinq ans, c’efl que
comme s’il y avoit en tout un équilibre parfait entre
les caufes de deftruélion & de renouvellement, ils
font toujours, à très-peu près, en même nombre dans
les mêmes cantons. Il n’eft pas difficile de les compter,
parce qu’ils ne font nulle part bien nombreux, qu’ils
marchent en famille, & que chaque famille Jiabite
féparément ; en forte que, par exemple, dans un taillis
de cent arpens, il y en aura une famille, c’efl-à-dire,
trois, quatre ou c in q ; car la chevrette , qui produit
ordinairement deux faons , quelquefois n’en fait qu’un,
& quelquefois en fait trois, quoique très-rarement.
Dans un autre canton, qui fera du double plus étendu,
il y en aura fept ou huit, c ’efl-à-dire, deux familles ;
& j’ai obfervé que dans chaque canton cela fe foûtient
toujours au même nombre, à l’exception des années
où les hivers ont été trop rigoureux & les neiges
* A Mont baril en Bourgogne.'
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abondantes & de longue durée ; fouvent alors la famille
entière efl détruite , mais dès l’année fuivante il en
revient une autre, & les cantons qu’ils aiment de préférence
font toujours à peu près également peuplés.
Cependant on prétend qu’en général le nombre en
diminue, & il efl vrai qu’il y a des provinces en
France où l’on n’en trouve plus ; que quoique communs
en Ecoffe , il n’y en a point en Angleterre,;
qu’il n’y en a que peu en Italie ; qu’ils font bien plus
rares en Suède * qu’ils ne l’étoient autrefois, &c. mais
cela pourrait venir, ou de la diminution des forêts, ou
de l’effet de quelque grand hiver , comme celui de
1709, qui les fit prefque tous périr en Bourgogne, en
forte qu’il s’efl paffé plufieurs années avant que l ’ef-
pèce fe foit rétablie : d’ailleurs ils ne fe plaifent pas
également dans tous les pays , puifque dans le même
pays ils affeélent encore des lieux particuliers ; ils
aiment les collines ou les plaines élevées au deffus des
montagnes ; ils ne fe tiennent pas dans la profondeur
des forêts, ni dans le milieu des bois d’une vafte étendue;
ils occupent plus volontiers les pointes des bois
qui font environnées de terres labourables , les taillis
clairs & en mauvais terrein, où croiffent abondamment
la bourgène, la ronce , &c.
Les faons refient avec leurs père & mère huit ou
neuf mois en tout, & lorfqu’ils fe font féparés, c ’efl-
à-dire , vers la fin de la première année de leur âge,
* Lin. Eaun. Suec.