i 6 H i s t o i r e Na t u r e l l e
l ’influence du climat, modifient, altèrent & changent
les efpèces au point dette différentes de ce qu’elles
étoient originairement, & rendent les individus fi diffé-
r e n s entr’eux, dans le même temps & dans la même
efpèce, qu’on aurait raifon de les regarder comme des
animaux diffèrens, s’ils ne confervoient pas la faculté
de produire enfemble des individus féconds, ce qui fait
le caractère elTentiel & unique de l’efpèce. On'avû que
les differentes races de ces animaux domeftiques finvent
dans les diffèrens climats le même ordre à peu près que
les races humaines ; qu’ils font, comme les hommes, plus
forts, plus grands & plus courageux dans les pays froids,
plus civilifés, plus doux dans le- climat tempéré, plus
lâches, plus foibles & plus laids dans les climats trop
chauds; que c’eft encore dans les climats tempérés &
chez les peuples les plus policés que fe trouvent la
plus grande diverfité, le plus grand mélange & les plus
nombreufes variétés dans chaque efpèce ; & ce qui n’eft
pas moins digne de remarque , c ’eft qu’il y a dans les
animaux piufieurs lignes évidens de l’ancienneté de leur
efclavage : les oreilles pendantes, les couleurs variées ,
les poils longs & fins, font autant d’effets produits par le
temps, ou piuftôt par la longue durée de leurdomefticité.
Prefque tous les animaux libres & fauvages ont les oreilles
droites; le fanglier les a droites & raides, le cochon
domeftique les a inclinées & demi-pendantes. Chez les
Lappons, chez.les Sauvages de l’Amérique, chez les
Hottentots , chez les Nègres & les autres peuples non
polices,
policés, tous les chiens ont les oreilles droites ; au lieu
qu’en Efpagne, en France, en Angleterre, en Turquie,
en Perfe, à la Chine & dans tous les pays civilifés, la
plulpart les ont molles & pendantes. Les chat% domeftiques
n’ont pas les oreilles fi raides que les chats
fauvages, & l’on voit qu’à la Chine, qui eft un empire
très-anciennement policé & où le climat eft fort doux,
îl y a des chats domeftiques à oreilles pendantes. C ’eft
par cette même raifon que la chèvre d Angora, qui a
les oreilles pendantes, doit être regardée entre toutes
les chèvres comme celle qui s’éloigne le plus de l’état
de nature : l’influence fi générale & fi marquée du
climat de Syrie, jointe à la domefticité de ces animaux
chez un peuple très-anciennement policé, aura produit
avec le temps cette variété, qui ne fe maintiendrait
pas dans un autre climat. Les chèvres d ’Angora nées en
France n’ont pas les oreilles auffi longues ni auffi
pendantes qu’en Syrie, & reprendraient vrai-fembia-
blement les oreilles & le poil de nos chèvres après
un certain nombre de générations.