7 4 H i s t o ir e N a tur e l l e
retiennent la fève qui colore le bois ; mais je ne puis
me perfuader que ce Toit ià la vraie caiife de cet effet,
ayant eu des cerfs privés & enfermés dans des enclos
où il n’y avoit aucun arbre, & où par conféquent ils
n’avoient pu toucher au bois, defquels cependant la
tête étoit colorée comme celle des autres.
Peu de temps après que les cerfs ont bruni leur tete,
ils commencent à reffentir les impreffions du rut; les
vieux font les plus avancés ; dès la fin d’août & le
commencement de feptembre, ils quittent les buiffons,
reviennent dans les forts, & commencent à chercher les
bêtesa; ils raientb d’une voix forte, le col & la gorge
leur enflent, ils fe tourmentent, ils traverfent en plein
jour les guèrets & les plaines, ils donnent de la tete
contre les arbres & les fep'ées, enfin ils paroiffent tranf-
portés, furieux, St. courent de pays en pays , jufqu a ce
qu’ils aient trouvé des bêtes, qu’il ne fuffitpas de rencontrer,
mais qu’il faut encore pourfuivre, contraindre,
afllijétir; car elles les évitent d’abord, elles fuient & ne
les attendent qu’après avoir ete long - temps fatiguées
de leur pourfuite. C’eft auffi par les plus vieilles que
commence le rut, les jeunes biches n’entrent en chaleur
que plus tard ; & iorfque deux cerfs fe trouvent auprès
de la même, il faut encore combattre avant que de
jouir : s’ils font d’égale force, ils fe menacent, ils grattent
la terre, ils raient d’un cri terrible, & fe précipitant 1 un
a Les bêtes, en terme de chaffe, lignifient les biches.
b Raire, crier.
fur l ’a u tr e , ils fe b a ttent à o u t r a n c e , & fe d on n en t des
cou p s d e .tête & d ’andouillers * fi fo r t s , que fo u v en t
ils fe b le ffen t à m o r t. L e com b a t ne finit que par la
défaite ou la fuite de l ’un des d e u x , & alors le vainqueur
ne p e rd pas un in fiant p ou r jou ir d e fa v ic to ir e & de
fes d e f i r s , à moins q u ’un autre ne fu rv icn n e e n c o r e ,
auquel cas il part p o u r l ’attaquer & le faire fuir com m e
le premier. L e s plus v ieu x cerfs fo n t toujours les maîtres,
pa rce q u ’ils fo n t plus fiers & plus hardis que les jeu n e s ,
qui n ’o fe n t a p p ro ch e r d ’ eux ni d e la b ê te , & qui
fo n t o b lig é s d ’a ttendre q u ’ ils l ’aient q uittée p o u r l ’avoir
à leur tour ; qu elqu e fo is cep en d an t ils fautent fur
la b ic h e p endant que les v ieu x c om b a t te n t , & après
a vo ir jou i fo r t à la h â t e , ils fuient p rom p tem en t. L e s
b ich e s p réfèrent les v ieu x c e r f s , non pas pa rce qu ils
fo n t plus cou ra g eux , mais pa rce qu ils fo n t b e au co u p
plus ardens & plus chauds que les jeu n e s ; ils fo n t auffi
plus in con ffan s , ils o n t fo u v e n t plufieurs b ê te s à la fo is ;
:& fo r fq u ’ ils n ’ en on t q u ’u n e , ils ne s ’y atta chent p a s , ils
ne la ga rd ent que q uelques jo u r s , après quoi ils s ’en
fépa rent & v o n t en c h e r ch e r une autre auprès de
laquelle ils d em eu ren t e n c o r e m o in s , & paffent ainfi
fu c e e ffiv em e n t à plufieurs ju fq u ’à c,e q u ’ils fo ien t to u t-
à-fait épuifés.
C e t t e fureur amoureufe ne dure que trois fem a in e s ,
p endant c e temps ils ne m ang ent que t r e s -p e u , ne
d o rm en t ni ne r ep o fen t ; nuit & jo u r , ils fon t fu r p ie d ,
* Andouillers, cornichons du bois de cerf.
K ij