6 4 H i s t o i r e Na tu r e l l e
manier les chevaux & ies armes, font des talens communs
au chaffeur, au guerrier: l’habitude au mouvement
, à la fatigue, l’adreffe, la légèreté du corps, fi
héceffaires pour foûtenir, 8c meme pour féconder le
courage, fe prennent à la chalfe, & fe portent a la
guerre ; c’efl l’école agréable d’un art néceffaire ; c’eft
encore le feu! amufement qui faffe diverfion entière aux
affaires, le feul délaffement fans moleffe, le feul qui
donne un plaifir v if fans langueur, fans mélange & fans
làtiété.
Que peuvent faire de mieux les hommes qui, par
état, font fans ceffe fatigués de la préfence des autres
hommes ï Toujours environnés , obfédés & gênés, pour
ainfi dire, par le nombre, toujours en butte à leurs
demandes, à leur empreffement, forcés de s’occuper
de foins étrangers & d’affaires, agités par de grands
intérêts, 8c d’autant plus contraints qu’ils font plus élevés,
les Grands ne fentiroient que le poids de fa grandeur,
& n’exifteroient que pour les autres, s’ils ne fe déro-
boient par inflans à la foule même des flatteurs. Pour
jouir de foi-même, pour rappeler dans lame les af-
feétions perfonnelles, les defirs fecrets, ces fentimens
intimes mille fois plus précieux que les idees de la
grandeur, ils ont befoin de folitude ; 8c quelle folitude
plus variée, plus animée que celle de la chaffe ï quel
exercice plus fàin pour le corps ! quel repos plus agréable
pour i’efprit l
II ferait auffi pénible de toujours repréfenter, que
de
de toujours méditer. L ’homme n’efl pas fait par la
Nature pour la contemplation des chofes abftraites ;
8c. de même que s occuper fans relâche d etudes difficiles,
d’affaires épineufes, mener une vie fédentaire,
& faire de Ton cabinet le centre de fon exiflence, efl
un état peu naturel, il femble que celui d’une vie tu-
multueufe , agitée , entraînée, pour ainfi dire, par le
mouvement des autres hommes, 8c où 1 on efl oblige
de s’obferver , de fe contraindre , & de repréfenter
continuellement à leurs yeux, efl une fituation encore
plus forcée. Quelque idée que nous voulions avoir de
nous-mêmes, il efl aile de fentir que reprefenter n efl
pas être, & auffi que nous fommes moins faits pour
penfer que pour agir, pour raifonner que pour jouir:
nos vrais plaifirs confillent dans le libre ufage de nous-
mêmes ; nos vrais biens font ceux de la Nature ; c ’efl
le c ie l, c’efl la terre, ce font ces campagnes, ces
plaines , ces forêts dont elle nous offre la jouiffance
utile, inépuifàble. Auffi le goût de la chaffe, de la
pêche, des jardins, de l’agriculture, efl un goût naturel
à tous les hommes ; & dans les fociétés plus fimples
que la nôtre, il n’y a guère que deux ordres, tous deux
relatifs .à ce genre de vie ; les nobles , dont le métier
efl la chaffe & les armes ; 8c les hommes en fous-ordre,
qui ne font occupés qu’à la culture de la terre.
Et comme dans les fociétés policées on agrandit,
on perfeélionne tout ; pour rendre le plaifir de la chaffe
plus vif 8c plus piquant, pour ennoblir encore cet exercice
Tome V I. I