3 0 4 H i s t o i r e N a t u r e l l e
devinrent ennemis, & la guerre continuelle qu’ils fe
fhifoient finit par la mort du levraut. D e deux lièvres
plus âgés, que j’avois mis chacun avec une lapine,
l ’un eut le même fort, & l’autre, qui étoit très-ardent
& très-fort, qui ne cefloit de tourmenter la lapine en
cherchant à la couvrir, la fit mourir à force de bleffures
ou de carefies trop dures. Trois ou quatre lapins de
différais âges, que je fis de même appareiller avec des
Iiafes, les firent mourir en plus ou moins de temps ; ni
les uns ni les autres n’ont produit : je crois cependant
pouvoir alfurer qu’ils fe font quelquefois réellement
accouplés ; au moins y a-t-il eu fouvent certitude que
malgré la reliftance de la femelle, le male s etoit latis-
fait; & il y avoit plus de raifon d’attendre quelque
produit de ces accouplemens, que des amours du lapin
& de la poule- dont on nous a fait l’hiftoire * , &
dont, fuivant l’auteur, le fruit devoit être des poulets
couverts de poils, ou des lopins couverts de plumes; tandis
que ce n’étoit qu’un lapin vicieux ou trop ardent, qui,
faute de femelle, fe fervoit de la poule de la maifon
comme il fe feroit fervi de tout autre meuble, & qu il
eft hors de toute vrai-femblance de s attendre a quelque
production entre deux animaux d’efpèces fi éloignées,
puifque de l’union du lièvre & du lapin, dont les elpeces
font tout-à-fait voifines, il ne rélulte rien.
La fécondité du lapin eft encore plus grande que
C.elle du lièvre; & fans ajouter foi à ce que dit Wùtten,
* Voyez l’art d’devçr des poulets.
que
que d’une feule paire qui fut mife dans une ilîe il s’en
trouva fix mille au bout d’un an, il eft fur que ces animaux
multiplient fi prodigieufement dans les pays qui
leur conviennent, que la terre ne peut fournir à leur
fubfiftance; ils detruifent les herbes, les racines, les
grains, les fruits, les légumes, & même les arbrifieaux
& les arbres ; & fi l’on n’avoit pas contr’eux le fecours
des furets & des chiens, ils feraient déferler les habitans
de ces campagnes. Non feulement le lapin s’accouple
plus fouvent & produit plus fréquemment & en plus
grand nombre que le lièvre, mais il a auffi plus dq
reflources pour échapper à fes ennemis ; il fo fouftrait
ailement aux yeux de l ’homme ; les trous qu’il fe creufo
dans la terre , où il fe retire pendant le jour & où il
lait fes petits, le mettent à l’abri du loup, du renard
& de l’oifeau de proie; il y habite avec là famille en
pleine fécurité, il y élève & y nourrit fes petits jufqu’à
l ’âge d’environ deux mois, & il ne les fait fortir de
leur retraite pour les amener au dehors, que quand ils
font tout élevés; il leur évite par-là tous les incon-
véniens du bas âg e , pendant lequel au contraire, les
lièvres périflent en plus grand nombre, & foufïrent
plus que dans tout le refte de la vie.
Cela lèul fuffit aulfi pour prouver que le lapin eft
fupérieur au lièvre par Ja làgacité ; tous deux font
conformés de même, & pourraient également fe creufer
des retraites ; tous deux font également timides à l’excès,
mais l’un plus îmbécille fe contente de fe former un
Tome V I . Q q