8 6 H i s t o i r e Na t u r e l l e
trouve point dans le bois qui croît fur la tete des cerfs ;
au contraire, rien n eft plus femblable a 1 accroiftement
du bois d’un arbre : le bois du cerf ne s’étend que par
t’une de fes extrémités, l’autre lui fert de point d’appui ;
il eft d’abord tendre comme l’herbe, 6c fe durcit en-
fuite comme le bois ; la peau qui s etend 6c qui croît
avec lui, eft fon écorce, & il s’en dépouille lorfqu il a pris
fon entier accroiffement ; tant qu’il croit, 1 extrémité
fopérieure demeure toujours molle; il fe divife auffi en
plufieurs rameaux ; le mérain eft l’arbre, les andouillers
en font les branches; en un mot, tout eft femblable,
tout eft conforme dans le développement 6c dans l’ac-
croiffement de l ’un 6c de l’autre; 6c dès-lors les molécules
organiques qui conflituent la fubftance vivante du
bois de cerf, retiennent encore l’empreinte du végétal,
parce qu’elles s’arrangent de la meme façon que dans
les végétaux. La matière domine donc ici fur la forme:
le cerf, qui n’habite, que dans les bois, 6c qui ne fe
nourrit que des rejetons des arbres, prend une fr forte
teinture de bois, qu’il produit lui-meme une efpece
de bois qui conferve allez les caractères de fon origine
pour qu’on ne puiffe s’y méprendre; 6c cet effet, quoique
très-fingulier, n’eft cependant pas unique, il dépend
d’une caufe générale que j’ai déjà eu occafron d indiquer
plus d’une fois dans cet ouvrage.
C e qu’il y a de plus confiant, de plus inaltérable
dans la Nature, c’efl l’empreinte ou le moule de chaque
efpece, tant dans les animaux que dans les végétaux; ce
qu’il y a de plus variable 6c déplus corruptible, c’efl la
fubftance qui les compofe. La matière, en général, paraît
être indifférente à recevoir telle ou telle forme, 6c capable
de porter toutes les empreintes poffibles : les molécules
organiques, c ’eft-à-dire, les parties vivantes de cette
matière, paffent des végétaux aux animaux, fans deftruc-
tion, fans altération, 6c forment egalement la fubftance
vivante de l’herbe, du bois, de la chair 6c des os. Il
paraît donc à cette première vue, que la matière ne
peut jamais dominer fur la forme, 6c que quelque efpece
de nourriture que prenne un animal, pourvu qu il puiffe
en tirer les molécules organiques qu elle contient, 6c fe
les affimiler par la nutrition, cette nourriture ne pourra
rien changer à fà forme, 6c n aura d autre effet que
d’entretenir ou faire croître fon corps, en fe modelant
for toutes les parties du moule intérieur, 6c en les
pénétrant intimement: ce qui le prouve, c ’eft qu’en
général les animaux qui ne vivent que d herbe, qui paroît
être une fubftance très differente de celle de leur corps,
tirent de cette herbe de quoi faire de la chair 6c du fang;
que même ils fe nourriffent, croiffent 6c groffifferit
autant 6c plus que les animaux qui ne vivent que de
chair. Cependant, en obfervant la Nature plus particulièrement,
on s’apercevra que quelquefois ces molécules
organiques ne s’aftimilent pas parfaitement au moule
intérieur, 6c que fouvent la matière ne laiffe pas d’influer