'"IL I.
I ;:!r 1 :
D I S C O U R S
Ces considérarions m'autorisent à dire que I o n a eu grand tort d'admettre comme primitives
des divisions qui ne conviennent qu'à l'homme seul, et nullement aux autres
animaux avec lesquels on doitl e comparer; que les mots antémur, postérieur, supérieur,
inférieur, ne doivent être employés que comme des attributs et jamais comme des caractères
génériques, et que, sans cette réforme, notre science ne fera jamais de véritables
progrès. . j,, ir
• Les principes suivants contiennent l'abrégé de la doctrme que je viens d établir.
1" Tout organe que l'on se propose de décrire doit être traité comme un solide géométrique,
donton e.xaminera d'abord à l'extérieur les faces, les bords et les angles, et
dont on considérera ensuite l'intérieur avec les mêmes divisions.
2-. Dans les dénominations que l'on donnera aux faces, aux bords et aux angles de
•ces organes, on n'emploiera que des noms que l'on puisse appliquer à tous les animaux
•qui en sont pourvus; et ces noms seront composés de ceux des parties les plus remarquables
de ces organes, ou de ceux des régions environnantes, ou des usages, lorsqu'ils
seront bien déterminés et assez faciles à saisir pour qu'il n e puisse y avoir aucune équivoque
à cet égard.
3'. Il n'y a point d'expressions qui puissent remplacer, dans toute l'étendue du corps
de l'homme et des animaux, comme caractères de division générale, les mots antérieur,
postérieur, supérieur, inférieur, parceque les extrémités postérieures des quadrupèdes
étant dans une position perpendiculaire, comme celles de l'homme, tandis que le corps
est horizontal, nulle dénomination ne peut êti-e commune à des circonstances aussi différentes.
Il faudra donc substituer à ces quatre termes des expressions propres à chacune
des grandes régions du corps des animaux. Citons pour exemple l'os ethmoïde, qui est
•cubique. Quatre de ses faces sont appellées supérieure, inférieure, antérieure, posté-
Tieure; à ces noms je substitue ceux de faces cérébrale, palatine, nazale, et sphenoidale ^
ou, si je veux employer des noms plus généraux et communs à tous les os del à téte, j'appellerai
.yncipita/f, celle des régions qui est dirigée vers le sommet de l'os frontal ou ^n-
•ciput; basilaire, celle qui répond à la base du crine-, faciale. celle qui est tournée vers
la face; et occipitale, celle qui l'estvers l'occiput. On voit bien que cette nomenclature
peut s'étendre à tous les animaux qui ont une tête osseuse, puisque, dans tous le synciput
est opposé à la base du crine, et la 6ce à l'occiput. J'ai indiqué dans le vocabulaire,
au m o t P O S I T I O N , le développement de cette nouvelle méthode et son application aux
diverses parties du corps et des extrémités.
4-. N o n seiilementles régions correspondantes du même organe doivent être désignées
d e la même maniere, mais ces organes doivent aussi porter le même nom dans tous les
animaux; sans quoi les rapprochements que nos travaux requierent ne pourroient jamais
s'exécuter.
Ce seul principe s-offîroit p o u r exiger de grands changements dans la nomenclature de
l'anatomie do l'homme et des animaux : un muscle très connu sera cité pour e.tempie.l
I.e muscle biceps du bras n'a qu'une tête dans les quadrupèdes qui ne sont pas claviculés.
Le nom do biceps ne peut donc pas lui être conservé dans un tableau général d'anatomie
; je préférerois celui de radio-scapulaire, qui désigne ses principales insertions dans
l'homme et dans les quadrupèdes. Ici, les anatomistes ont encore donné un nom d'attribut
comme un nom de genre; ce qu'il faut toujours éviter.
S U R L'ANATOiWIE.
Pour établir un système entier de nomenclature anatomique , il faudroit donc avoir
rassemblé tout ce que l'on sait sur la structure des animaux ; et cette partie de nos connoissances
n'est pas assez avancée pour que l'on puisse exécuter ce grand projet. Je ne
pouvois donc eu offrir qu'une ébauche : peut-être serai-je un jour plus hardi lorsque
j'aurai achevé les travaux que j'ai commencés. En soumettant dans un vocabulaire tous
les mots dont je dois me servir, à un examen rigoureux, je me suis proposé de rendre
mes descriptions plus intelligibles, et de concourir, autant qu'il étoit en moi, à cette réforme
générale dont il paroît que tous les nomenclateurs sont actuellement occupés.
Ainsi, tandis que les sciences font chaque jour des progrès, leurs idiomes s'enrichissent,
et avec eux se perfectionne l'art de penser. Les expressions techniques, reconnoissables,
et pour ainsi dire les mêmes dans tous les pays, forment en quelque sorte une
langue universelle, également écrite, entendue et parlée par tous les peuples. Cette
langue a resté long-temps incomplete. Celle de l'imagination a dû se développer la premiere;
mais aussi sa marche rapide a dû se ralentir. Renfermé trop long-temps dans les
mêmes limites, fatigué par la répétition des mêmes images, environné de modeles qui le
subjuguent, étonné par tant de succès qui sont eux-mêmes un obstacle à des succès nouveaux,
le génie des lettres n'a pu conserver toute sa force en voyant diminuer ses espérances.
Mais alors, docile à la culture, le champ des sciences et des arts s'est couvert
de moissons abondantes; le domaine delà vérité s'est accru; ses divers langages se sonC
agrandis; ils s'agrandiront encore. Des combinaisons inattendues, des observations et
des découvertes sans nombre achèveront de dévoiler la nature; des imitations de toute
espece reproduiront à tous les sens le spectacle de ses merveilles; des idées, des
images, des métaphores nouvelles, prépareront de nouvelles jouissances à l'imagination,
qui redeviendra féconde; sa langue se regénérera; l'esprit reprendra sa jeunesse et sa (leur;
et s'il les perd encore, de nouveaux progrès des connoissances les lui rendront sans
"doute: tant il est naturel de croire que, parmi des peuples dont les yeux sont pour toujours
ouverts à la lumière, le génie doit porter alternativement! l'empreinte de ces différents
modes, en passant d'âge en âge par toutes les nuances de la maturité.
La liaison des sciences et des lettres est donc plus grande que certains détracteurs
ne le donnent à penser, puisque les unes et les autres s'ouvrent mutuellement la carriere
ou plutôt n'en forment qu'une, où se développent toutes les facultés de l'esprit. Que l'on
compare les écrits des modernes sur les sciences avec les ouvrages de ceux qui les ont
précédés, et l'on verra combien est grande la supériorité des premiers sur les seconds»
Sans doute, il ne s'agit ici ni de l'ornement ni de la pompe du discours; sans doute on
n'exige pas qu'un physicien soit éloquent comme M. de BufFon, qu'il ait les grands talents
de cet homme illustre, pour qu'il lui soit permis d'écrire sur la nature : je ne parle
que de la métliode, de la précision et de la clarté, qui sont les qualités les plus recommandables
du style. En vain ceux qui ne les possèdent pas affecteront du mépris pour
elles; en vain ils diront qu'il importe peu de quelle maniéré un fait soit écrit : on leur répondra
que, dans l'histoire des sciences, ainsi que dans celle des hommes, comme il
n'y a qu'une maniéré de bien voir, il n'y en a qu'une aussi de bien décrire; qu'un fait
n'est plus identique dès qu'il est raconté de plusieurs maniérés; que l'image, comme
l'idée qu'elle exprime, est une; et que, parmi les infidélités que l'on reproche aux obser-
Tome I. Discours.
.-»i'i; Si