D I S C O U R S
f-iut chci-clier des modeles de description anatomique : on la voit sous deux formes
dans leurs ouvrages. Dans l'Ostéologie de Bertin, ses détails sont très clairs, mais
longuement écrits et exposés à la maniere des professeurs qui enseignent. Dans le
Traité de "Winslow, à l'aide de divisions et de subdivisions régulières, sa marche est
courte et rapide. Cette derniere méthode est préférable sans doute, puisqu'elle dit les
mêmes choses avec moins de paroles, et que, dans tous les cas, c'est rendre une formule
très vicieuse que d'employer un grand nombre de signes pour exprimer un petit nombre
d'idées.
iVIais la méthode de Winslow, que je préféré à toutes les autres, paroîtra elle-même
imparfaite, si on la compare avec celle des naturalistes. Ayant à décrire une longue suite
d'objets, ceu.x« ont vu que, s'ils n'étoientpas très rigoureux dans leurs définitions, très
précis et très significatifs dans leurs phrases, leurs traités deviendroient trop volumineux
e t trop vagues. On a donc créé autant d'idiomes nouveaux qu'il y a de branches dans l'histoire
naturelle. Les botanistes ont donné l'exemple. La langue grecque a été mise à contribution
; de nouveaux substantifs ont exprimé par un seul mot des idées très complexes
e t qui exigeoient auparavant, pour être entendues, le secours des périphrases; d'autres
termes aussi nouveaux ont déternviné les diverses modifications des corps, et leur valeur
a é t é fixée en tête de chacun de ces systèmes.
Au milieu de ces innovations, l'anatomie seule n'a fait presque aucun changement dans
$on langage. Comment , avec une nomenclature qui ne s'est presque point enrichie depuis
Galien, pourroit-elle suffire à la description de tant d'organes nouveaux? Nous touchons
donc au moment où notre science doit subir la révolution générale, et c'est une étude
très philosophique que celle des regles d'après lesquelles doivent être établies sa nomenclature
et sa méthode. Les réflexions suivantes contiennent le résultat de mes recherches
sur cetobjet important.
D E LA LANGUE DES SCIENCES EN GÉNÉRAL,
E T DË CELLE DE L'ANATOMIE EN PARTICULIER.
UiiElanguepauvre, a dit ingénieusement un écrivain moderne (i), n'a jamais été celle
d'un peuple riche. Les diverses sortes de langages se forment en eifet et se développent
dans la même progression où le champ des idées s'étend; et soit que imagina t ion s'éleve,
o u que la raison s'éclaire, il faut bien exprimer dune maniere nouvelle des sensations
que l'on n'a pas encore éprouvées, ou des combinaisons qui n'ont pas encore été faites.
Il n'y a point de nomenclature ni de méthode qui ne puisse être changée par cette
influence des progrès de l'esprit. A la vérité, lorsque les idées ou les inventions nouvelles
sont peu nombreuses, on peut quelquefois, sans rien détruire, les placer à la suite
d e l'enchaînement déjà formé. Mais il y a un terme au-delà duquel on ne peuts'empêcher
de refondre la méthode. Pour remettre l'ordre dans la faculté de penser, il faudroit, a
dit Bacon, refaire l 'entendement humain. Nous disons : Pour remettre l'ordre dans l'entendement
humain appliqué à l'étude de quelques sciences, il faut refaire leurs lan-
(i ) De l'Uni veriialiié de la Langue Françoise ; discüuis qui mportó le prix tie l'académie de Berlin 0
784, iii.8%
publié en 1/85, pa;je 41.
S U R L'ANATOMIE. 47
gues. Qu'est-ce en effet qu'étudier une science? C'est acquérir des idées de toures les
parties qui la composent ; c'est associer ces idées de sorte que leurs impressions se repro-
L i s e n t d'elles-mêmes, et se succedent sans effort et sans travail; c'est les ordonner de
manière que les unes, d'individuelles qu'elles étoient, devenues générales, se sous-divisent
en classes, genres et especes, tandis que les autres, isolées, attendent des filiations
nouvelles; c'est, en allant du connu à l'inconnii, veiller sur l'exactitude des faits dans
l'observation, comme sur la chaîne des jugements intermédiaires dans le raisonnement;
enfin c'est apprendre à mettre en oeuvre toute l'activité de l'esprit, en fixant, par des
paroles et des signes, la nature et les rapports de la pensée.
Condillac, qu'on ne loue point assez, Coiidillac, aussi grand que LOCKC, au moins dans
quelques parties de ses ouvrages, après avoir prouvé que la faculté de sentir est le foyer
de toutes les autres, a dit le premier que les langues ne sont que des méthodeg.^nalytiques.
Il suit de ses réflexions que l'art de raisonner n'a commencé qu'avec elles; que cet
art ne peut s'exercer sans les formules dont est composé le langage; et que plus on
abrégé le discours, plus, en rapprochant les idées, on rend l'exposition claire, les comparaisons
faciles, et les résultats certains.
Puisque tout langage est une analyse, combien n'importe-1-il pas dans l'étude des
sciences de perfecdonner des médiodes à l'aide desquelles les diverses parties d'un
tout sont séparées, examinées, connues, nommées, comparées et réunies! Long-temps
les seuls géometres surent employer ces procédés utiles : les pliysiciens et les naturalistes
ont enfin appris à s'en servir. On demande pourquoi Linné a donné le nom de Philosophie
Botanique (i) au traité dans lequel sont consignés les principes de sa nomenclature.
C'est que ce grand homme a compris que la base de tout édifice de l'esprit est la
science élémentaire des mots, sans laquelle nul genre de connoissances ne peut ni s'élever,
ni s'affermir.
Les auteurs des premiers noms assignés aux substances des trois régnés se sont servis
d'expressions qui n'avoient aucune liaison entre elles; l'analogie et le hasai-d en ont
fourni le plus grand nombre. Diverses considérations religieuses, divers sentiments de
reconnoissance et d'amidé, les inspirations mêmes de l'orgueil ou les prévenances de l'adulation
ont fait le reste, et l'on a vu la liste des productions de la nature surchargée de
noms bien étrangers à son culte. Linné, témoin de ce désordre, résolut d'y remédier :
bientôt disparurent du catalogue toutes les dénominations relatives, soit à ces personnages
auxquels sont assignées d'autres places dans l'histoire, soit aux grands, que la
flatterie place par-tout, soit même aux savants des autres classes. C'est dans le ciel que
doivent être écrits les noms des Cassini; c'est aux plantes qu'il convient de donner ceux
de Tournefort et de Linné ; comme c'est sur les replis du corps humain que Fallope et
Sylvius ont imprimé le sceau de leur gloire.
Linné rejette avec raison les dénominations trop longues ou embarrassées, d'une prononciation
trop dure, ou qui, composées de deux racines, l'une grecque et l'autre latine,
ofQ-ent un assemblage monstrueux et bizarre. Mais doit-on également adopter son avis
lorsqu'il refuse d'admettre les noms que certaines finales (2) communes terminent, ou
( 1 ) Philosophia Botanica. (2) En oides, ella, s