2 DI S C O U R S SUR L'A N A T O MI E
l'amphithéâtre (i) de Milan. Cet exemple, donné parl'Italie, ne lut suivi que long-temps
après en France (2), et n'eut point, avant le seizieme siecle, d'imitateurs dans le reste de
l'Europe.
Mais alors on cessa presque de disséquer des animaux-: toute l'activité des Anatomistes
se concentra dans l'examen du coi-ps humain, et ce n'a été qu'après y avoir, pour ainsi
dire, épuisé leurs efforts, qu'ils sont revenus par choix à l'objet de leurs premieres
études, cultivé si long-temps par nécessité.
Déjà plusieurs savants se sont illustrés dans cette carriere. L'Académie Royale des
Sciences s'en est occupée dès son origine (3); celle des Curieux de la Natiu-c y a contribué
par des fragments nombreux; Blasius et Valentini ont publié des recueils où la plupart
do ces observations sont consignées. Déjà les insectes (4) et les polypes (5) out eu
leurs Historiens (6); enfin, réunissant ce que le coup-d'ceil le plus vaste et en même
temps le plus juste, le génie le plus fécond et le tact le plus délié peuvent rassembler de
qualités précieuses et rares, deux grands Naturalistes ont élevé un de ces monuments
qui honorent les nations dans le souvenir de la postérité : l'histoire des quadrupèdes a
vu le jour, et l'on a eu un modele dans ce genre.
J'ai parlé des obstacles que plusieurs siecles de préjugés ont mis à l'avancement des
connoissances anatomiques ; j'indiquerai ceux qui naissent de la nature même de ces
recherches.
Les moyens propres à faire connoître la structure et le jeu des organes peuvent être
réduits aux suivants: la dissection anatomique, les expériences que l'on tente sur les animaux
vivants, l'observation exacte de leurs phénomènes, soi t dans l'état de santé, soit dans
celui de maladie, etl'histoire des changements que ce dernier état apporte dans leur tissu.
A entendre quelques Auteurs, il semble que la Physique soit riche en procédés capables
de dévoiler le mécanisme de nos fonctions : quelques réflexions feront connoître
les difficultés dont cette carriere est remplie.
Un corps froid, inanimé, privé de la vie, n'offre que des libres sans ressort, des vaisseaux
relâchés et vuides. L'art est, à la vérité, parvenu à les remplir; mais un fluide
étranger et grossier distend outre mesure les canaux les plus ouverts, et ne coule point
dans les plus déliés ; ou, si l'on emploie un fluide plus sub til, il s'échappe, il transsude sous
la forme de rosée, et ne nous instruit point sur la structure des iîlieres par lesquelles il a
passé. Ces réseaux nei-veux qui déterminoientles réactions les plus fortes, cette pulpe qui
é toit le foyer des ébranlements les plus variés, sur laquelle la lumiere elle-même imprimoi t
des images etlaissoit des traces de ses vibrations; tout est insensible, tout est muet; le
muscle ne seroiditplus sous l'instrument qui le blesse; le nerf est déchiré sans exciter ni
trouble ni douleur; toute connexion, toute sympathie sont détruites, et les corps des
animaux dans cet état sont une grande énigme pour celui qui les disséqué.
Cette dissection elle-même a ses difficultés. Combien ne faut-il pas d'adresse, d'ordre
(1) En i3o6 et i3i5, parMundlnus.
(a) En 1376, 1377, i384, 1496, à Montpellier; en 1494, à Paris. Fojez la Bibliothèque anatomique de Haller,
l'Histoire de l'Anatomiepar M. Portai, et le Discours historique et critique sur les découvertes faites eu Anatoniie, &c.
poi'M. deLassus, 1783, p, 70-72.
(3) Voyez le Recueil rédigé par Perauît dans les anciens Mémoires de l'Académie.
(4) Malpighi, Swammerdam, ROaumur et M. GcoiTroi.
(5)Trenibley, 8cc. . _ (¡5) MM. le Comte de Buffon et Daubeiiton.
E N G É N É R A L . 3
et do patience pour découvrir, parmi le grand nombre de parties sur-ajoutées les unes aux
antres, les différents nerfs et les vaisseaux qui appartiennent à chacune! encore,dans cet
assemblage si merveilleux de ressorts de tous les genres, court-on les risques de négliger
ceux qui sont le plus intéressants par leurs usages, ceux dont l'énergie vitale, s'il étoit
possible de les voir lorsqu'ils en sont pénétrés, rendroit les mouvements les plus remarquables
et attireroit sur-tout l'attention de l'Anatomiste.
S'il se détermine à interroger la Nature vivante, s'il ose y chercher la solution du
problème dont il est occupé, combien cette scene est plus repoussante encore que la
premiere ! et combien les vérités qu'il découvre sont cruelles à arracher, et difficiles k
reconnoitre ! Ce n'est plus cette immobilité, ce silence qui caractérisent un entier abandon
de la vie; c'est un état tout-à-fait opposé, dans lequel la souffi-ance et la crainte ne
laissent pas un mornent de repos : pour un animal retenu par des liens, le plus léger
mouvement est le signal de la douleur et redouble ses craintes; tout son corps se contracte
, chacune de ses parties se souleve contre l'ennemi qui la menace ou qui la tourmente.
Parmi des flots de sangetdes convulsions, au milieu des cris aigus etdes angoisses,
comment ne pas se tromper sur le siege du sentiment? Qui pourroit se flatter, dans un
bouleversement aussi général, de retrouver les traces des mouvements naturels? et quelles
précautions, quelle sagacité ne faut-il pas pour en tirer quelques résultats utiles?
Le troisième ordre de moyens proposés est l'observation exacte et assidue des phénomènes
que présentent les diverses fonctions organiques considérées dans l'état ordinaire
de la vie; mais il est difiicile d'isoler ceux qui appartiennent à chaque viscere, tant les
connexions des parties qui composent les corps animés sont multipliées entre elles! Et
d'ailleurs, quand on observe les effets d'une action vitale particulière, on n'en apperçoit
pointie foyer : réciproquement, quand l'Anatomie nous le montre, son activité n'existe
plus, et nous ne pouvons presque jamais saisir que par le secours de l'imagination le hen
qui les unit.
La comparaison des visceres sains avec ceux qui sont malades fournit encore des
connoissances qu'il est important de recueillir. Mais n'arrive-t-il pas souvent que le siege
du mal est très éloigné de celui où se manifeste la douleur? Si les nerfs disposés dans les
organes des sens pour nous communiquer les impressions du dehors, nous induisent si
souvent en erreur, combien ne devons-nous pas éu-e trompés par ceux du dedans, dont
les entrelacements et les réseaux semblent avoir pour but de nous dérober la connoissance
de ce qui s'y passe III n'y a aucune région du corps humain qui ne réponde à plusieurs
organes, parmi lesquels il est souvent difficile de reconnoitre celui qui est affecté
ou qui a été la source du mal; etles altérations que l'on observe après la mort ne sont,
dans un grand nombre de cas, que des effets secondaires du vice primitif, ou le produit
d'une cause qui, en frappant un dernier coup, n'a laissé presque aucune trace de son
existence dans les lieux qu'elle a quittés.
C'est au milieu de tous ces écueils que marche le Physiologiste : le sujet sur lequel il
s'exerce est très composé ; la science qu'il cultive résulte elle-même de plusieurs autres
sciences qui doivent nécessairement se perfectionner avant elle. Au commencement de
ce siede la Physiologie n'étoit encore qu'un vain assemblage de systèmes; c'est Haller
qui les a dissipés : il a jette les fondements d'une science qui n'a de commun que le nom