D I S C O U R S
ceux clont les racines ne sont ni latines ni grecques) Pourquoi, dans le premier cas, sê
priver d'un moyen facile pour distinguer certaines classes entre elles? et , dans le second,
pour-quoi ne pas préférer à des noms factices ceux que les naturels de différents pays donnent
depuis si long-temps aux corps que nous voyons pour la premiere fois?
Linné blâme-encore les noms génériques composés de deux mots-distincts. A la vérité,
cette construction, vicieuse en général, est gênante dans le discours et dans les détails
des cspeces ; mais lorsque les deux mots composants, réunis, n'en forment qu'un, loin
d e trouver des inconvénients dans cette sorte de nomenclature, j'y vois de grands
avantages, en supposant toutefois que cliacun des mots ainsi confondus exprime quelques
rapports essentiels de conformation, de situation ou d'usages. Nous empîoyons souv
e n t , en anatomie, des noms ainsi composés; et c'est toujours avec profit pour les
étudiaiit3, qui ne peuvent les prononcer sans se rappellei" les relations ou la structure des
parties auxquelles de pareils noms sont donnes (i).
Gomme un fait nouveau n'est -qu'un rapport découvert entre -quelques unes des
parties du grand système de la nature, il ne suffit pas d'indiquer ce fait par un mot;
iî fiiut de plus exprimer ses rapports par des adjectifs dont le sens soit bien déterminé.
Or, en anatomie, nous avons peu de ces d^-nominations spécifiques propres à désigner
les qualités individuelles des coips. La plupart des noms que les naturalistes ont adopt
é s peuvent aussi nous servir. N'appartiennent-ils pas à la description des surfaces
extérieures? En les empruntant et e n les appliqua-nt aux surfaces intérieures, j'en ai fait
im usage que je crois légitime et permis. Lorsqu'il a fallu en créer de nouveaux, je les
ai tirés sur-tout de -ces termes qui, tenant à beaucoup d'autres, et étant connus par de
nombreux dérivés, ont une signification facile à transporter dans plusieurs langues. J'ai
toujours fait connoître leurs synonymes latins etfrancois, et je me suis efforcé de mettre
entre eux une telle correspondance, et entre quelques uns une telle opposition, que toufes'les
propriétés des coips pussent être faci lementet br-ièvement exprimées.
On se tourmente souvent, dit Condillac, pour définir des id-ées simples, tandis qu'il
ne faut que les énoncer. La définition doit en effet se borner à montrer l'ob'jet : elle est
vicieuse, si elle le suppose déjà connu. Trop courte, elle n'a pas la netteté de l'idée; trop
longue, elle n'a pas l'exactitude de la description; et, dans les deux cas, son butesi manqué.
Dans l'ordre de nos recherches, il faut choisir les mots propres à la formation de
noms génériques et spécifiques ava-nt de définir, et il faut définir avant d'analyser.
L'analyse ou la division est, au fond, la même opération de l'esprit. C'est dans la succession
naturelle des idées, c'est dans la maniere dont on les acquiert et doni on les endiaîne,
qu'il faut chercher les élé-ments de cette méthode. Ensuivant une autre route,
l'esprit se fatigue et finit toujours par s'égarer. Ici, tous les termes ne sont pas connus.
C'est dans la combinaison des vérités déjà découvertes , qu'il faut chercher celles
qui ne le sont pas encore. Ici, deux excès doivent être soigneusement évités, et cette
précipitation qui se hâte de croire en substituant la confiance au doute et l'hypothese à la
démonstration, et cette extrême timidité qui, sans laconnoissance exacte des principes
(I) Ponrrisiimer, il faut qye 1
soienl coripo:iés que á'nm seul mot:
-particmieut pus à plusieurs langue.
ns génenqi.es
iurs racines ii'
s'ils sont ile u
velie créaîion, qu'ils cxprii
ou les usages des organes a
itioii, la structure
mt attribués.
msoM
S U R L'ANATOMIE. 49
.et des causes, n'ose avancer dans la carriere. Que ceux qui sont dans le premier cas apprennent,
s'il estencore temps, à marcher dans les sentiers de l'analyse, e£ disons aux au-
, t r e s q u i l n'est pas nécessaire de remonter auxpremieres causes pour dégagerde toutes suppositions
arbiti-aires le peu de connoissances que l'on a sur les sujets les plus embarrassés.'
A mesure que l'on obsei^e un ordre de phénomènes constants, il faut le désigner par une
dénomination abstraite. S'est-on assuré qu'une force particulière régit ou produit certains
mouvements déterminés; quoique l'on ne connoisse que l'existence de cette force, il
faut encore l'exprijner par un mot convenu : mais sur-tout que l'on se garde bien de donner
à'ces termes plus de valeur qu'ils n'en ont réellement, et que l'on ne perde jamais de
vue les rapports dont ils sont les signes, si l'on veut éviter la méprise et l'erreur.
C'est encore à l'art de créer les langues qu'il appartient de choisir des mots pour fixer
l'abstraction des idées, et ce choix n'est pas indifférent; l'exemple suivant.en donnera la
preuve.
Des phénomènes sans nombre et des expériences multipliées ont appris que les nerfs
sont le foyer de la sensibilité des organes et de l'irritabilité des muscles. On a imaginé
un agent pour expliquer ces effets, et l'on adonné le nom d'esprits animaux au fluide dont
on a gratuitement supposé que les.nerfs étoient remplis. Ici l'on a commis une grande
faute, en donnant un nom individuel au lieu d'un nom abstrait à une propriété peu connue.
Combien, en se servant, pour la désigner, d'une expression générale, telle que celle
de force nerveuse, on auroit épargné d'erreurs aux médecins et de mauvais raisonnements
aux physiologistes!
Les termes qui disent autre chose que ce qu'ils devroient exprimer, ne sont pas
les seuls qui doivent être compris dans notre réforme; plusieurs sont impropres ou insuffisants,
et ils ne doivent point être épargnés. Je rapporte à ceux-ci les divisions
numériques àe premier, second, troisième, etc. qui ne donnent aucune idée précise de
situation ni de forme, et dont l'ordre peut être troublé par des observations nouvelles,
comme je l'ai prouvé dans cet ouvrage au sujet des nerfs ( i ). Parmi ceux-là doivent
être comptées les dénominations de vraies et de fausses^ de dur, de mol, de grand, de
petit, de honteuses, d'ailes, de bouquet, d'accessoires, de sublirrie, d'humble, d'admirable, etc.
Toutes ces locutions seront rejetées comme incorrectes, insignifianles, et comme tenant
à la fois de l'imperfection et du mauvais goût.
De mêtne que l'homme le plus simple et le plus dépourvu d'itnagination ne peut parler
long-temps sans métaphore, le langage des sciences de description, le plus froid et le
plus mesuré de tousles langages, ne peut se passer d'expressions imitativesetfîgurées.Oii
dit souvent en anatomie qu'une partie organique monte, se porte, descend, s'étend, se dirige,
passe, s'alonge, s'éleve, s'abaisse, s'enfonce, s'épanouit, pénètre, se montre, se présente y
etc. Je crois qu'il seroi t très difficile de renoncer tout-à-fait à ces expressions; mais je
desire qu'on n' en abuse pas^ qu'on s'en tienne le plus souvent aux verbes auxiliaires eir y
joignant des adjectifs ou des adverbes, et que souvent même on rende la marche plus
rapide en supprimant les verbes qu'il est nécessaire et pénible de varier lorsqu'on les
prodigue.
Ce qui a le plus contribué à rendre les descriptions informes et prolixes, c'est l'usage '
( I ) Voyez !e n°. Ill de l'explication des planches du cerveau, pag. 48.;
T o m e l . Discours. ,3,
t .