4 DI S C O U R S SUR L'ANATOMIE
avec i'ancienne. OfFrons à ce grand homme l'hommage de notre reconnoissance, et témoignons
lui notre respect en suivant sa méthode et en nous efforçant de marcher sur ses
m c e s .
Il n'y a pohi t d'animal ou de corps organisé qui ne puisse être le sujet de l'Anatomie ;
mais l'étendre ci tous, ce seroit exiger trop de travaux : il suffira de choisir, parmi les corps
vivants considérés depuis l 'homme jusqu'à la plante, ceux dont les différences fournissent
les caractères les plus remarquables, et d'en former une suite de genres anatomiques
auxquels les especes intermédiaires et les travaux déjà faits puissent se rapporter.
L'amour du merveilleux doit sur-tout être banni de cet ouvrage. Quelques animaux
ont, dans certaines parties, une conformation extraordinaire qui n'est pas ce que l'Anatomie
comparée offre de plus intéressant; souvent même ces singularités trouvent à peine
•une place dans le système des êti-es : elles ne doivent point être oubliées dans notre
•tableau; mais on y verra, sans doute avec plus de plaisir, les rapports suivis, croissants ou
décroissants des différentes fonctions dans toutes les classes des corps organisés : on les
verra se réunir, se diviser ensuite, et la vie, attachée à un petit nombre d'organes, se
réduire, pour ainsi dire, à ses éléments dans quelques especes, et paroître d'autant plus
féconde et plus assurée, qu'elle devient en même temps plus simple, plus facile et plus
répandue.
Les effets par lesquels elle se manifeste peuvent être regardés comme des signes propres
à la faire reconnoitre par-tout où elle existe : les corps vivants son t tous disposés de
maniere à se nourrir ( i ) et à se reproduire (2); différents sucs circulent dans leurs vaisseaux
(3) et reçoivent dans leurs organes une préparation relative à leurs besoins (4) : ils
•communiquent tous intimement avec le fluide oii ils sont plongés (5); des puissances
contractiles (6), .plus ou moins soumises à leur volonté, meuvent des léviers (7) destinés
à divers usages, et des cordons nerveux qui, se r édui s ant en pulpe, établissentdes rapports
déterminés entre le corps auquel ils appartiennent et tous ceux dont il est environné (8).
On peut déduire de ces considérations des caractères qui forment les principales modifications
du système vivant.
Tour en découvrir le mécanisme, il faut rechercher parmi leurs effets quels sont ceux
qui se rapportent aux loix bien établies de la Chimie ou de la Physique, et les distinguer
soigneusement des effets qui n'ont point avec ces loix de liaison inniiédiate, ou au moins
connue, et dont la cause nous est cachée. Ce sont ces derniers que Van-Helmont et
Stahl ont fait dépendi e d'une archée ou de l 'ame, sans réfléchir que, leur nature n'étant
point approfondie, ce qu'ils attribuoient à un seul agent dépendoi t peut-être de plusieurs.
En recourant à des causes imaginaires, ne semble-t-il pas que ces grands hommes aient
voulu caclier leur ignorance sous le voile de la Philosophie, et qu'ils n'aientpu se résoudre
à marquer jusqu'où s'étendoient leurs connoissances positives? Ils ont , sans doute, eu
raison de dire, et nous pensons, comme eux, que certains phénomènes se rencontrent
seulement dans les corps organisés, et qu'un ordre particulier de mouvements et de
combinaisons en fait la base et en constitue le caractere. On se trompoit, sans doute,
en leur assignant des causes hypothétiques dont on a enfin dévoile l'insuffisance; mais
(1) Ladlgestionctlanutritlon. (5) La circulation. (5) La respiration. (7) L'ossifica lion.
{3) La génération. (4) Les sécrótions. (6) L'irritabilité. (8) La sensibilité.
E N G É N É R A L . 5
quelque étonnantes qu'elles nous paroissent, ces fonctions, ne sont-elles pas des effets
physiques plus ou moins composés dont nous devons examiner la nature par tous les
moyens que fournissent Tobsemt ion et l'expérience, et non leur supposer des principes
sur lesquels l'esprit se repose et croit avoir tout fait lorsqu'il lui reste tout à faire? En un
mot, ces Médecins dont on a de nos jours réfuté les erreurs, et que l'on appelle avec une
sorte de dédain du nom de Mécaniciens, ont-ils fait autre chose que d'abuser de la Mécanique
et de la Physique? Parcequ'ils se sont trop pressés d'en appliquer les connoissances
à la Médecine, parcequ'ils en ont fait un mauvais usage, faut-il que l'on y renonce? et, si
l'on s'interdit cette sourcé abondante, où puisera-t-on pour enrichir notre art et perfectionner
l'étude du corps humain?
Les fonctions des corps vivants, dont nous avons reconnu la nature et les différences,
peuvent être divisées en trois ordres principaux. Dans le premier doivent être rangées
celles dont le produit est une préparation, une coction quelconque des sucs ou des fluides
destinés, soit à la nutrition, soit au développement , soit à la reproduction de ces coi-ps ( i).
La seconde classe comprend toutes les especes de mouvement s dont ils sont animés, soit
ceux qui s'exécutent dans les fibres charnues (2), soit cette turgescence que l'on remarque
dans les parties composées d'arteres et de nerfs entrelacés et formant des réseaux,
soit ce ton, ce ressort toujours proportionné à l'énergie vitale, que les maladies augmentent
ou dhninuent , et qui n'est qu'une extension de l'irritabilité resserrée par Haller dans
des bornes trop éti-oites. A la troisième classe se rapportent toutes les merveilles de la
sensibilité concentrée ou réfléchie, et considérée, soit dans les organes des sens, soit dans
le centre médullaire des fibres neiTeuses, soit dans les cordons qui séparent ces deux
foyers interne et externe d'où partent et où se réunissent nos sensations.
Le fameux chancelier Bacon a donné une belle idée des sciences, en les comparant à
une pyramide dont la pointe, très élevée, se perd dans les nues et représente les questions
métaphysiques, tandis que les sciences naturelles en sont le soutien, et que les autres connoissances
sont distribuées dans l'intervalle suivant leurs divers degrés de certitude ou
de probabilité. Cet ingénieux emblème peut aussi convenir à nos recherches : parmi les
sujets sur lesquels les Physiologistes s'exercent, il y en a plusieurs qui, parleur nature
abstraite et subdle, doivent occuper le sommet de la pyramide figurée par Bacon, sommet
si souvent élevé et si souvent détruit, tandis que la base inébranlable, croissant avec
autant de sûreté que de lenteur, reçoit le tribut des observations que chaque siecle lui
fournit, et ne se perfectionne que par la main du temps. Ainsi la dissection anatomique et
les expériences tentées sur les animaux seront l'appui de l'édifice que nous n'éleverons
qu'avec la plus grande réserve ; nos voeux se bornent à laisser à ceux qui nous succéderont
un plan dontl'exécudon soit commencée, et un petit nombr e de ti-avaux exacts et dignes
de la confiance de ceux qui s'intéressent aux progrès de l'Anatomie.
Mais quels seront nos points de repos dans la carriere que nous devons parcourir?
Quelle sera notre méthode dans le choix des individus qui doivent servir à nos comparaisons?
Essayons de le déterminer.
Des trois régnés qui embrassent toute la Nature, deux se confondent tellement qu'il
{1) La digestion, la niitriliou, l'ossification, les sécrétions en général, la respiration, la génération.
(•2) L'iiTitabilité, La circulatioii.