6 DI S C O U R S SUR L'ANATO M I E
est presque impossible d'établir leurs limites. Ces grandes différences que l'on observe
entre les extrémités de leur chaîne disparoissent à mesure qu'on s'approche du point qui
les réunit: les champignons, les plantes vésiculaires et articulées, les corallines et ces
végétations dans lesquelles une famille d'animaux travaille en commun, et qui, solidement
attachées par leur base, ne peuvent se mouvoir que dans leurs ramifications, toutes
ces substances semblent tenir le milieu entre les animaiLX et les végétaux, ou, au moins,
laissent peu d'intervalle entre ces deux ordres. Il n'en est pas de même des minéraux :
gouvernés immédiatement par les loix connues de la mécanique et des atti'actions électives,
ne recevant d'accroissement et n'agissant qu'à leurs surfaces, ils forment un grand
système circonscrit dans tous ses points, et qui n'est équivoque dans aucun de ses
rapports.
A cette grande classe on peut donc en opposer une autre dans laquelle les masses
animées par des mouvements particuliers et spontanées se reproduisent par des germes,
où les éléments ne cessent de se mouvoir, de se heurter, de se combiner de mille maniérés,
et dont les parties, après s'être accrues par une force intérieure, dépérissent enfin et rentrent
dans le premier regne, auquel la mort semble rendre ce que la vie lui a ôté.
Ces effets sont communs aux végétaux et aux animaux; dans les uns comme dans les
autres, des humeurs circulent, des sucs se séparent, l'air est attiré et coule dans des vaisseaux
particuliers ; les sexes sont distincts et se fécondent, et tous éprouvent ce développement
qui leur donne chaque année une couche ou des productions nouvelles.
Il n'y a donc que deux régnés dans la Nature, dont l'un jouit, et l'autre est privé de la
vie.
Dans le premier, sous combien de formes, avec quelle abondance et quelle rapidité
les êtres se succedent! La siu'face et les premieres couches de la terre, celles des eaux et
leur profondeur, la zone de l'atmosphère qui touche le globe sont remplies d'animaux et
de plantes, et pénéti'ées d'une immense quan tité de germes destinés à peupler le monde.
L'homme occupe, sans doute, le premier rang dans ce bel ensemble, puisqu'il connoît
sa place et qu'il en a mesuré tous les rapports; il est, sans doute, le roi des animaux, puisqu'il
les subjugue et qu'il leur commande; sa description doit être faite la premiere, elle
doit être la plus étendue, soit parcequ'elle nous intéresse de plus près, soit parcequ'indépendammentde
ce motif, les organes étant toujours composés en raison de leurs effets,
c'est-à-dire de l'industrie de chaque classe d'animaux, c'est encore l'homme qu'il faut,
sous cet aspect, étudier avec le plus de soin et le plus long-temps.
Il enti-e dans mon plan de considérer le coi-ps humain dans tous ses âges et dans les
diverses circonstances où il peut se trouver, d'en examiner toutes les parties, et d'écrire
l'histoire de leurs phénomènes, objet trop négligé par les Physiologistes. Toujours pressés
de remonter aux causes, la plupart ont négligé d'observer les effets qui s'offroient de tous
côtés à leurs regards et qu'il auroit été facile de recueillir plutôt : ce n'est que dans les
ouvrages des Écrivains les plus modernes que l'on ti-ouve les traces de cette méthode. Je
la suivrai; et si quelqu'un se plaint de la trop grande étendue de mes descriptions, je lui
répondrai que les recherches anatomiques, quoiqu'immenses, sont cependant encore incompletes,
puisque nous ignorons quel est l'usage de plusieurs visceres dont une connoissance
plus approfondie doit un jour dévoiler le mécanisme; je dirai qu'il est permis de
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chercher jusqu'à ce que l'on ait trouvé tout ce que l'on cherche, et que nous sommes, en
Anatomie, bien loin d'avoir atteint ce but.
Après avoir fait cet aveu, j'ai peut-être acquis le droit d'ajouter que la description de
nos organes, quoiqu'imparfaite, est cependant assez exacte en plusieurs points et assez
riche pour fournir des résultats utiles à la Médecine et à la Philosophie : c'est un spectacle
dont une partie se dérobe à la curiosité qu'elle excite, tandis que l'autre la satisfait, et dont
les personnes sages ne peuvent manquer de retirer à-la-fois du profit et du plaisir.
11 est temps, en effet, que ceux qui desirent de s'instruire, après avoir interrogé tout ce
qui les entoure, reviennent à eux-mêmes et donnent quelque attention à leur propre
sti-ucture. Les formes extérieures, les loix du mouvement, les éléments et la composition
des corps leur fournissent, sans doute, des considérations importantes; mais, s'ils ne savent
point quels sont les rapports de ces substances avec la leur, ne perdent-ils pas le fruit le
plus précieux de leurs recherches? Qu'est-ce qu'une théorie des sensations, si elle n'est
appuyée sur la description exacte des sens eux-mêmes? L'examen des nerfs, de leur origine,
de leurs connexions, n'explique-t-il pas un grand nombre de phénomenessurlesquels
il est si commun et quelquefois si dangereux de raisonner mal? Et pourquoi la circulation
dusanget de la lymphe, qui sont la source et l'aliment de la vie, ne seroit-elle pas aussi
bien l'objet de nos réflexions, que la route et la direction des fleuves qui coulent sous un
autre ciel, ou celles des astres qui se meuvent si loin de nos têtes?
Mais, dans ce travail, il ne faut pas considérer l'homme seul, on doit le rapprocher
des autres animaux : ainsi rassemblés, ils forment un tableau imposant par son étendue, et
pi(|uant par sa variété. L'homme, isolé, ne paroît pas aussi grand; on ne voit pas aussi
bien ce qu'il est : les animaux, sans l'homme, semblent être éloignés de leur type, et on
ue sait à quel centre les rapporter. Les différents coi-ps organisés et vivants devoientdonc
être réunis dans cet ouvrage, comme ils le sont dans la nature. Combien de fois, dans le
cours de mes recherches, j'ai joui d'avance du plaisir de voir rangés sur une même ligne
tous ces cerveaux qui, dans la suite du regne animal, semblent décroître comme l'industrie;
tous ces coeurs, dont la structure devient d'autant plus simple qu'il y a moins d'organes
à vivifier et à mouvoir ; tous ces visceres, où se filtre de tant de maniérés le fluide
élastique que nous respirons ; tous ces foyers où s'élaborent tant de substances différentes
destinées à se convertir en chyle et d'où se séparent les molécules grossieres des os,
l'esprit éthéré dont les nerfs paroissent être les conducteurs, le ferment de la digestion
qui maintient la vie au-dedans de l'individu, et cette liqueur, plus surprenante encore,
quoiqu'elle ne coûte pas plus à la Nature, qui propage l'existence au-dehors et qui contient
mille fois en elle l'image ou plutôt l'abrégé de toutes ces merveilles!
Que l'on ne dise donc plus que l'Anatomie est une science seche, stérile, repoussante,
puisqu'elle seule peut apprendre à l'homme tout ce qu'il lui est permis de savoir sur ces
divers sujets, les plus grands peut-être qui s'offrent à sa méditation et à son étude.
Celui qui veut s'élever à la connoissance des animaux doit considérer avec soin et
comparer ensemble deux especes d'organes, dont les uns sont placés à la surface, et les
autres dans les grandes cavités. On peut regarder les premiers comme les instruments
immédiats de leurs mouvements, et les seconds comme les ressorts cachés de la nutrition,
de la sensibilité, de la reproduction et de la vie. Ces organes se coirespondent; ils forment,