anciens & nouveaux, recommandée même par quelques
Médecins, n’a jamais été indiquée par la Nature. Dans
le premier âge aux fiècles d’o r , l’homme, innocent
comme la colombe, mangeoit du gland, huvoit de
l’eau ; trouvant par-tout là fubfiftance, il étoit lâns inquiétude,
vivait indépendant, toujours en paix avec lui-
même , avec les animaux ; mais dès qu’oubliant là noblelfe,
il fàcrifia là liberté pour fe réunir aux autres, la guerre,
l ’âge de fer prirent la place de l’or & de la paix; la
cruauté, le goût de la chair & du làng furent les premiers
fruits d’une nature dépravée, que les moeurs & les arts
achevèrent de corrompre.
Voilà ce que dans tous les temps certains philofophes
auftères, fàuvages par tempérament, ont reproché à
l’homme en fociété : rehaulïànt leur orgueil individuel
par l’humiliation de i’efpèce entière, ils ont expofé ce
tableau, qui ne vaut que par le contralle, & peut-être
parce qu’il eft bon de prélènter quelquefois aux hommes
des chimères de bonheur.
Cet état idéal d’innocence, de haute tempérance,
d’abftinence entière de la chair, de tranquillité parfaite,
de paix profonde, a-t-il jamais exifté ! n’efl-ce pas un
apologue, une fàble, où l’on emploie l’homme comme
un animal, pour nous donner des leçons ou des exemples!
peut-on même fuppofer qu’il y eut des vertus avant
la fociété ! peut-on dire de bonne foi que cet état fàuvage
mérite nos regrets, que l ’homme animal fàrouche fut plus
digne que l ’homme citoyen çivilifé! Oui, car tous les
malheurs viennent de la fociété; & qu’importe qu’il y eut
-des vertus dans l’état de nature, s’il y avoit du bonheur,
fi l ’homme dans cet état étoit feulement moins malheureux
qu’il ne l’eft! la liberté, la fartté, la force, ne
font-elles pas préférables à la molleffe, à la fenfualité, à
la volupté même, accompagnées de l’efclavage! La privation
des peines vaut bien l’ufàge des plaifirs; & pour
■ être heureux, que faut-il, fmon de ne rien defirer!
Si cela eft, difons en même temps qu’il eft plus
doux de végéter que de vivre, de ne rien appéter que
de fàtisfaire fon appétit, de dormir d’un fommeil apathique
que d’ouvrir les yeux pour voir & pour fentir;
confentons à laifler notre ame dans l ’engourdiflement,
notre efprit dans les ténèbres, à ne nous jamais fervir
ni de l’une ni de l’autre, à nous mettre au deffous des
animaux, à h’être enfin que des maïfes de matière brute
attachées à la terFe.
Mais au lieu de difputer, difeutons ; après avoir dit
des raifons, donnons des faits. Nous avons fous les yeux,
non l’état idéal, mais l’état réel de nature: fe fàuvage
habitant les déferts eft-il un animal tranquille! eft-il un
homme heureux ! Càr nous ne fiippoferons pas avec un
Philofophe, l’un des plus fiers cenfeurs de notre humanité
* , qu’il y a une plus grande diftance de l ’homme en
pure nature au fàuvage, que du fàuvage à nous ; que les
âges qui fe font écoulés avant l’invention de l’art de la
parole, ont été bien plus longs que les fiècles qu’il a
* M. RoufTeau.
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