que de germes anéantis avant leur'.développement !
L ’homme & les animaux:carnaffiers ne vivent que d’india
vidus tout formés, ou d’individus prêts à l’être ; la chair, les
oeufs, les graines, les germes de toute efpèce font leur nourr
riture ordinaire ; cela feul peut borner l ’exubérance de la
Nature. Que l’on confidère un inflant quelqu’une de ces
efpèces inférieures qui fervent de pâture aux autres, celle
des harengs, par exemple ; ils viennent par milliers s’offrir
à nos pêcheurs, & après avoir nourri tous les monflres
des mers du nord, ils fourniffent encore à la fubfiflance
de tous les peuples de l’Europe pendant une partie de
l’année. Quelle pullulation prodigieufe parmi ces animaux !
& s’ils n’étoient en grande partie détruits par les autres,
quels feroient les effets de cette immenfe multiplication !
eux feuls couvriraient la furface entière de la mer ; mais
bien-tôt fe nuifànt par le nombre, ils fe corrompraient,
ils fe détruiraient eux-mêmes ; faute de nourriture fuffi-
fânte, leur fécondité diminuerait ; la contagion & la difette
feroient ce que fait la confommation ; le nombre de ces
animaux ne feroit guère augmenté, & le nombre de
ceux qui s’en nourriffent feroit diminué. Et comme l’on
peut dire la même chofe de toutes les autres efpèces, il
efl donc néceffaire que les unes vivent fur les autres ; &
dès-lors la mort violente des animaux efl un ufâge légitime
, innocent, puifqu’il efl fondé dans la Nature, &
qu’ils ne naiffent qu’à cette condition.
Avouons cependant que le motif par lequel on voudrait
en douter fait honneur à l’humanité : les animaux, du
L ES A n I ^ A B N ' C A R N A S S I E R S . $
moins ceux qufont clë'sfens, de la chair & du fang, font
des êtres fe-nfifelesf'eémmemous ils font capables de
plaifir & fujets“ à ;Ia dottieur, *11 y à donc une; efpèce d’in-
fehfibittécfuëlleàfâtîrîfier 1 fins'néceflité, ceux fim-tout
qui ‘nous approchent, qui vivent avec nous, & dont le
fentimeht fe'réfléchit vers nous en fe marquant par les
figfres de la douleur; car ceux dont la nature efl différente
de la notre, ne peuvent guère nous affeéter. La pitié
naturelle efl fondée fiir les rapports que nous avons avec
l ’objet qui fouffre elle efl d’autant plus vive que la
reffemblance, la conformité de nature efl plus grande;
on fouffre en voÿànt’foufffir fon fémblable. CofopaJJim ;
ce mot exprime aflèz que C’cfl une fouff rance, une
pàffion qivOn partage v''t>epén<iant c ’efl moins l’homme
qui fouffre, que fa propre nature qui pâtit * quife révolte
machinalement & fe met d’elle-même à l’uniffon de
douleur. L ’ame a moins de part que le corps à ce fen-
timent de pitié naturelle, & les animaux en font füfcep-
tlblés comme l’homme; lé cri de la douleur les émeut,
ils accourent pour fe fecourir, ils reculent à la vue d ’un
cadavre de leur efpèee. Ainfi l’horreur & la pitié font
moins des paflions de lame que des affe étions naturelles,
qui dépendent de la fenfibilité du corps & de la fimilitude
cle la conformation ; ce fentiment doit donc diminuer à
mefureque les natures s’ éloignent. Un chien qu’on frappe,
un agneau qu’on égorge, nous font quelque pitié ; un
arbre que l’on coupe, une huître qu’on mord, ne nous
en font, aucune.