20 H i s t o i r e Na t u r e l l e .
agilïbns & penfons. Cependant fes aétes font évidens,
& nos penfées font obfcures; nous portons dans fes
ouvrages les abftraétions de notre efprit, nous lui
prêtons nos moyens, nous ne jugeons de fes fins
que par nos vues, & nous mêlons perpétuellement à
fes opérations, qui font confiantes, à fes faits, qui font
toûjours certains, le produit illufoire & variable de notre
imagination.
Je ne parle point de ces fÿftèmes purement arbitraires,
de ces hypothèfes frivoles, imaginaires, dans
fefquelles on reconnoît à la première vûe qu'on nous
donne la chimère au lieu de la réalité; j’entends les
méthodes par lefquelles on recherche la Nature. La route
expérimentale elle-même a produit moins de vérités que
d’erreurs : cette voie, quoique la plus fûre , ne l ’eft néanmoins
qu’autant qu’elle eft bien dirigée ; pour peu qu’elle
foit oblique, on arrive à des plages ftériles, où l ’on
ne voit obfcurément que quelques objets épars; cependant
on s’efforce de les raffembler, en leur fuppofant
’des rapports entre eux & des propriétés communes;
& comme l’on paffe & repaffe avec complaifànce fur
les pas tortueux qu’on a faits, le chemin paroît frayé,
& quoiqu’il n’aboutiffe à rien, tout le monde le fiiit, on
adopte la méthode, & l’on en reçoit les conféquences
comme principes. Je pourrais en donner la preuve en
expofànt à nu l ’origine de ce que l’on appelle principes
dans toutes les fciences, abftraites ou réelles:
dans les premières, la bafe générale des principes eft
les A n i m a u x c a r n a s s i e r s . 21
l ’abftraétion, c ’eft-à-dire, une ou plufieurs fuppofitions * ;
dans les autres, les principes ne font que les conféquences,
bonnes ou mauvaifes, des méthodes que l’on a
fuivies. Et pour ne parler ici que de l’anatomie, le
premier qui, furmontant la répugnance naturelle, s’avifà
d’ouvrir un corps humain, ne crut-il pas qu’en le parcourant,
en le diflequant, en le divifànt dans toutes fes
parties, il en connoîtroit bien-tôt la ftru&ure, le mécha-
nifme & les fondions ! mais ayant trouvé la chofe infi-
nimentplus compliquée qu’on ne penfoit, il fallut bien-tôt
renoncer à ces prétentions, & l’on fut oblige de faire
une méthode, non pas pour connoître & juger, mais
feulement pourvoir, & voir avec ordre. Cette méthode
ne fut pas l’ouvrage d’un feul homme, puifqu il a fallu
tous les fiècles pour là perfectionner, & qu’éncore
aujourd’hui elle occupe feule nos plus habiles anato-
miftes ; cependant cette méthode n’eft pas la fcience,
ce n’eft que le chemin qui dévroit y conduire, & qui
peut-être y aurait conduit en effet, f i, au lieu de toûjours
marcher fur la même ligne dans un fentier étroit, on
eût étendu la voie & mené de front l ’anatomie de
l ’homme & celle des animaux. Car quelle connoifiànce
réelle peut-on tirer d’un objet ifoléMe fondement de
toute fcience n’eft-il pas dans la comparaifon que l’efprit
humain fait faire des objets femblables & différens, de
leurs propriétés analogues ou contraires, & de toutes
* Voyez les preuves que j’en donne, Vol, I de cet ouvrage, à la
fin du premier Difcours.
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