V O Y A G E A U T O U R D U M O N D E .
à mettre clans sa soupe une galère pulvérisée ? Une heure après
son repas, ce monsieur se rendit an bourg du Lamantin, à une
(jetite distance de son habitation, et là , en entrant chez nn de
ses amis , il fut saisi de douleurs atroces dans l’eslomao et dans
les intestins, qui le rongeaient comme aurait pu le faire le poison
le plus corrosif Le mal alla en augmentant de plus en plus
¡usipi’au lendemain matin qu’il mourut dans les tourments les
plus affreux. A l’examen de sou cadavre, on trouva l’estomac
et les intestins enflammés et corrodés, comme s’il eût été empoisonné
avec de l’arsenic, et je n’ai presque aucun doute que ce
fut avec cette substance, ou avec tout autre poison corrosif,
que le cuisinier de M. Tébé commit ee crime. Ce malfoiteur,
pour ue point faire couuaitre le poison dont il s’était servi,
voulut laisser croire à ceux qui l’accusèrent et le firent brûler
vivant que c’était avec une galère pulvérisée qu’il avait empoisonné
son maître. «
« Les nègres ne font jamais comiaitrela substance dont ils se
sont servis pour commettre un empoisonnement ; ils avoueront
tout ce qu’on voudra leur faire avouer, excepté la v é r ité , qu’ils
ont juré de ne jamais faire connaître sur farticle des empoisonnements.
)i
Tels sont les faits les plus avérés de l’action vénéneuse des
physales. Nous les croyons bien propres à servir de point
de départ pour une nouvelle étude des propriétés fort remarquables
de ces zoophytes douteux, ou plutôt de ces mollusques
tronqués, sortes de céphalopodes retournés. Cette
dernière opinion peut sembler hypothétique à quelques savants,
et cependant uous ne jiouvons nous dispenser de reconnaître
qu’il y a peut-être [dus de ressemblance qu’on ne le
croit entre un poulpe et une physale, ou , pour parler plus
correctement, que la physale n’est qu’une répétition obscure
et incomplète des anomalies d’un poulpe, l’un et f autre placés
à de grandes distances dans une même série d’organisation. Un
céphalopode commencerait une chaîne d’animaux dont la pby-
sale serait le dernier anneau, mais un anneau qui se lierait au
premier. Peut-être serons-nous un jour en position de
revenir sur ce sujet très-intéressant et de l’appuyer par des
aperçus détaillés.
Les physales se réunissent pour former des essaims dont
les habitudes sont encore inconnues. Sur la surface unie de la
mer, par les beaux jours de calme, entre les lropi(|ues, soit
dans l’océan Atlantique, soit dans la mer Pacifique, on les voit
entraînées par les courants ou poussées par les vents alisés,
traînant derrière elles leurs longs tentacules détendus. Mais
c’est une erreur d’admettre qu’elles n’apparaissent que par les
beaux temps; fréquemment uous en observâmes que cliavi-
raient les vagues heurtées et qui résistaient a une très-grosse
mer. Les marins croient t[ue la crête mince (|ui surmonte le
corps vésiciileux fait l’office, chez les physales, de voiles latines,
et que ces animaux s’cn servent pour serrer le vent, et, ainsi
([u’ils le disent, naviguer au plus près. C’est, comme on le voit,
ajouter une ex[)lication un peu forcée à la théorie des causes
finales.
Souvent dans notre longue navigation les physales vinrent
récréer nos regards errants sur la surface de la mer. Ces animaux
nous offrirent toujours un problème que notre intelligence
n’a pu résoudre; ils cheminent parés des pins riches
couleurs; la partie vésiculeuse et la crête remplies d’air sont
d’un blanc nacré argentin auquel s’unissent les teintes les mieux
fondues de bleu, de violet et de pourpre. Un carmin vit colore
le bouillonnement du biseau de la crête, et le bleu d’outremer
le plus suave teint les trois sortes de tentacules dont nous avons
parlé. Certes nous concevons qu’ime imagination poétique ait
pu comparer les formes sveltes d’une physale au vaisseau le
Voyage de ia Coquille. — Z. Tom. II. Part. II. 2® Div. O