les côtes, lorfqu’il s’approche pour ÿ chaffer fa proie, ou dans les fleuves
& les rivières, où il va frayer au printems. On le prend avec de grands
filets, ou faes, faits avec de la forte ficelle, & dans la mer, avec une
efpèce de harpon, que les pêcheurs Norvégiens appellent fk o ttd a).
Ce poifion eft pareffeux, & relie tranquille quand il eft entortillé dans
les filets. Alérs les pêcheurs s’en rendent' maîtres, en lui paffant une
corde par la bouche & les ouïes, & avec laquelle ils l’attachent' au
vaiffeau ou au bateau, pour le mener plus loin. Cependant il faut qu’ils
prennent bien garde à fa queue, qui eft très-forte: car un efturgeon
çaffa un jour la jambe à un jeune garçon imprudent qui vouloit le tirer à
terre ¿ ). La plus forte pêche de l’efturgeon fe fait en Janvier, fous la
glace avec des crochets. Dans cette faifon, on peut l’envoyer loin, & par
conféquent il eft d’un plus grand prix qu’en Été. C’eft par cette raifon que
les Cofaques fe font fait une loi entr’eux, de rejetter dans l’eau tous les
efturgeons & les grands -efturgeons qu’ils pécheraient dans le mois de Mai
parmi d’autres poiffons, afin de pouvoir fe procurer au mois de Janvier
une pêche meilleure & plus avantageufe c). En automne, les efturgeons
fe rangent en lignes les uns prés des autres dans les endroits les plus
profonds des fleuves. Comme ils s’y accumulent ordinairement1,R & qu’ils
viennent fe jouer fur la furface, les pêcheurs les obfervent attentivement;
d’autres fe mettent fur la glacé dès qu’elle eft un peu abàiffée, & fe
couvrant la tête d’un drap, ils prétendent voir à travers le poifion dans
le fond. Ils marquent aufli les placés , pour en profiter à la première
pêche. Dès que le mois de Janvier eft arrivé, les CofaqueS s’affemblent,
& tiennent confeil fur l’endroit & la nature de la pêche ; & lorfque ceux
qui ont reçu la permiifion, font munis, d’un billet, on indique à chacun
un certain eipace; puis on tire un coup de canon, pour ouvrir la marche.
Alors chaque pêcheur part fur fon traîneau au grand galop des chevaux,
& prend la place qui lui eft défignée. Chaque pêcheur prend un crochet
aigu, qui eft attaché à une perche de trois à cinq toifes, qu’ils nomment
romruoi bagord. Cependant comme le bord eft très-efcarpé en divers
endroits, les perches ont quelquefois fept à dix toifes de long; & alors
on les nomme jarowi. A ces perches, fur-tout quand elles font longues,
font attachés des poids de fer de quatre à cinq livres, afin que le courant
a) Pontopp.Nonr. II. p. agg.
b) Richter. Icht. p. 471.
c ) Pallas. Auszug feiner Reifen. Tom. I. p. 402.
Ön obferve fi fcrupuleufement cette loi, que celui
qui l’enfreint perd toute fa provifion de poiffons,
& outre cela, eft puni corporellement. Il feroit
utile chefc nous de faire mieux obferver la loi qui
ordonne, de faire les mailles d’une .certaine grandeur,
afin de ménager par-là le fretin.
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fie puiffe pas lés entraîner facilement. Perfonne ne peut cafier la,glace
que tous ne foient arrivés à leur pofte; & on en donne le lignai par un
fécond coup de canon. Le tems de la grande pêche dure neuf jours, &
fe nomme kolowertae;. elle s’étend ordinairement à deux cents dix-huit
werjles, qui font pêchées pendant ce tems, en prenant chaque jour un
nouveau canton. Tous les matins, il faut que les Cofaques fe raflemblent
de ■ nouveau, & ils ne peuvent partir pour la pêche qu’aux fignaux
accoutumés. Chaque Cofaque ne peut faire qu’un trou ; cependant quand
un a abandonné le lien, il eft permis à un autre de s’en fervir. Les
poiffons troublés dans leur repos par le bruit que l’on fait en caffant la
glace, remontent le fleuve : les crochets font tendus dans cette direélion,
près du fond. Quand un poifion pèfe fur le crochet, ce que le Cofaque
remarque au mouvement de la perche, il la lève brufquement, & tire le
poifion, qui fe trouve pris. Cette pêche fingulière eft fi avantageufe, qu’il
arrive quelquefois qu’un pêcheur prend dans une journée dix gros poiffons
& plus. Au' lieu qu’un autre pendant tout le tems de la pêche,- tire
quelquefois à peine fes frais. Ordinairement chaque pêcheur fait voeu, fi
fa pêche eft heureufe, de confacrer le premier poifion à l’églife. Quand un
pêcheur a pris un efturgeon fi gros, qu’il ne fauroit venir à bout de le tirer
fur la glace, il appelle fon camarade au fecours; & alors il eft obligé de
partager fa pêche avec lui. Les efturgeons qui ont paffé l’hiver dans la
mer, reviennent au printems dans les fleuves, pour y frayer. Quand les
fentinelles pofées exprès remarquent leur arrivée dans ces derniers, ils
en donnent avis; & alors les pêcheurs s’affemblent de la manière que
nous avons dite; & le fignal donné, chaque Cofaque fe place dans fon
canot, qui eft fait avec des troncs de peuplier noir & blanc, & enduit
de bitume de Judée. Ils rament, & jettent leurs filets en travers du
fleuve. Cette pêche eft aufli très-confidérable. Ces filets ont vingt à trente
braffes de longueur, font compofés de deux nappes, dont l’une a les
mailles plus étroites, & eft un peu plus longue que l’autre. Comme dans
cette faifon le poifion ne peut être tranfporté fort loin fans fe gâter, on le
coupe en morceaux, on ôte l’épine du dos, on lave le fang, on le frotte
de fel de mer ; puis on le fait fécher à l’a ir , pour l’envoyer enfuite de
côtés & d’autres dans le pays & dans l’étranger. Vers ce tems, les
marchands des contrées éloignées de la Ruffie fe rendent dans ce pays
pour acheter l’efturgeon. Dix bons efturgeons valent ordinairement trente-
cinq à quarante roubles. Mais un feul des plus gros fe vend fix à fept
roubles. En France, la pêche de ce poifion commence en Février dans la
rivière de la Garonne, du côté de Bourdeaux, & dure jufqu’en Juillet ou