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pêche une fi grande quantité, que l’on entretient exprès des vaiffeaux,
qui en mènent tous les ans pour près de cent mille livres fterlings en
Angleterre.o). ..
L’anguille parvient à une groffeur confidérable. Par exemple, dans
quelques lacs près de Prenzlow, on en trouve de deux à trois aunes de
long & greffes comme le bras p \ En Albanie, on en pêche qui font greffes
comme la cuiffe y). Vers les frontières de la Chine, elles deviennent auffi
fort greffes; car Mr. le docteur Melle, de St. Pétersbourg, a reçu une peau
d’anguille de ce pays, qui avoit cinq pieds de long & trois de large r).
En Angleterre, on en pêche quelquefois qui pèfent quinze à vingt livres s).
Salvien en a trouvé en Italie de vingt livres r), & Pline dit que celles du
Gange ont quelquefois trente pieds «). La peau eft fouple & tranfparente.
Les Tartares des confins de la Chine, s’en.fervent en guife de carreaux de
fenêtres. Dans d’autres endroits, on coupe ces peaux en lanières, & les
payfans s’en fervent pour attacher leurs fléaux, parce quelles font plus
fortes que le meilleur cuir.
L’anguille eft du nombre des poilfons voraces : mais l’ouverture de fa
bouche eft fi petite, qu’elle ne peut s’emparer que des petits poilfons. Elle
fe contente auffi d'infectes, de vers & de charogne. Elle aime fur-tout les
oeufs des autres poilfons; elle les fuit dans le tems du frai, & fait un
grand tort à la multiplication des autres elpèçes. Mais je doute, comme
le croit Reimarus x ) , que ce foit par amour pour les oeufs qu’elle, s’introduit
par l’anus dans le corps de l’efturgeon ; je crois plutôt que l efturgeon a
avalé l’anguille, & qu’elle fort par l’anus; ce que nous voyons auffi arriver
aux cigognes & aux hérons, au derrière defquels on voit fortifies jeunes
anguilles qu’ils ont avalées y ) . L’anguille aime auffi les pois; elle cherche
les endroits où on en a femés elle cherche auffi les vers des prés a).
Elle ne va à la chaffe que pendant la nuit; pendant le jour, elle fe cache
dans la bourbe, dans laquelle elle s’enfonce profondément. Elle forme deux
ouvertures à cette retraite obfcure, afin que fi l’une fe trouve par hafard
bouchée, ellepuiffe échapper par l’autre. Ses ennemis font le brochet, les
oifeaux de marais & le loutre. Elle a la vie dure, & on peut là tranfporter
o) Müller. L. S. Tom. IV. p. 39.
p ) Beckmann. Churm. Tom. I .p. 1123.
q) Spans. Reif, nach Griech. Tom. II.p. 59*
r ) Müller. L. S. Tom. IV. p. 40.
s') Penn. B. Z. m . p. 145*
t ) Aquat. p, 275-
u) Nat. Hift. lib. IX. cap. 3.
x ) Betracht. überdieKunftr.derThiere.p.103.
y ) J’ai vu la même chofe à une loche de ma*
rais. On l’avoitmife par plaifanterie dans la gueule
d’une chèvre : elle s’étpit introduite dans les boyaux
à force de fe démener; & enfin on la vit fortir pan
l’anus..
j ) Dôbel. Jagerpraéh Tom. IU. p, a u .
a) Diâ. des Anim. p. 128*
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très-loin dans un vafe où il y a de l’eau, de l’herbe, ou'du jonc. Elle vit
auffi deux a trois jours hors de fon élément. Selon Ariftote b') & Pline c'),
elle vit ainfi pendant fix jours quand il foufïle un vent du Nord, & quelques
jours de moins par un vent du Sud. Selon les expériences de Mufchénbroek,
une anguille s’eft remuée pendant longtems dans un efpace dépourvu
d’air, & n’y eft morte qu’au bout d’une heure. Une autre vécut deux
heures dans de l’eau dont on avoit tiré l’air dl). L’irritabilité dure auffi
longtems dans ce poilfon ; de forte que fi on lui coupe la tête, & qu’on
le touche avec la pointe d’une aiguille, il fe retire pendant l’efpace d’une
heure. Quoique l’anguille ait la vie fi dure, elle eft cependant extrêmement
fenfible à un degré confidérable de froid & de chaud. Voilà pourquoi elle
fe cache de bonne heure en automne, & ne reparaît au printems que
lorfque l’eau a pris une température plus douce. Selon Ariftote, fi dans
l’Eté on tranfporte des anguilles d’un lac dans des réfervoirsi elles meurent
toujours, & fouvent quand on les tranlporte dans une eau froide e). Cela
peut être vrai pour les pays, chauds; car dans nos contrées on peut les ’
tranlporter même en Été. Cependant elles en deviennent quelquefois
malades,;fur-tout dans les grandes chaleurs: alors elles-ont une efpêce
d’éruption, qui confifte dans des taches blanches depuis la grandeur d’un
grain de millet jufqu’à celle d’une lentille, & les pêcheurs n’ont que des
remèdes incertains contre cette maladie. Ces remèdes confiftent en
tabouretJftg qui:croît en quantité fur les rivages. Us jettent cette plante
dans les réfervoirs, & les anguilles qm ffe ;jiquentiavëc les pointes dont
elle eft garnie, guériffent de leurs tâches. Ils fe fervent encore de fel; maïs
quand ces deux remèdes n’opèrent point, elles font perdues fans reffource-
parce que cette maladie gagne promptement celles qui ne l’ont pas.
Cependant' on peut confeiller à ceux qui ont des i-anguilles dans des
réfervoirs, d’y mettre toujours de cette plante par précaution, h:.
L’anguille multiplie beaucoup : cependant jufqu’à préfent on n’y a
trouvé ni laites ni oeufs; quelques riâturaliftes feulement ont trouvé des
petits dans fon corps. Ce défaut de laites & d’oeufs a beaucoup embarraffé
ceux qui ont voulu expliquer la génération de ce poilfon. î j ’efpère donc
faire plaifir à mes leéteurs, en leur communiquant les différens.fentimens
que; l’on a éus fur cet objet; on véraa par-là ce qu’on en a penfé dans
différens tems. Ariftote a regardé là génération de l’anguille comme une
chofe fi remarquable, qu’il y a confacré un chapitre particulier g ). Selon
b) Hift. Anim. lib. g--cap. 2.
c ) Nat. Hift. lib. 9'. cap. a i.
d) Experiment. P. I. p. 109.
e ) Hift. Anim. lib'. 8- cap. 2.
f ) Scratioides aloides..L.
g) Hift. Anim. lib. <5. cap.-16.