
Il y a dans cette famille, et peut-être qu’il y aura long-tems encore,
une confusion produite par les différences qui se font remarquer entre les
individus d’une même espèce. Ces différences, comme nous l’avons déjà
dit, proviennent de l’âge et quelquefois du climat. Si l’on jette les yeux
sur les ouvrages des nomenclateurs qui n’ont point donné de figures, on
verra que plusieurs de leurs descriptions peuvent convenir au même animal
, et que les différences qu’ils indiquent pourroient bien n’être autre
chose que celles dont nous venons de parler. C’est ainsi que le Ve ter , le
Senex, le Vetulus et le Silenus d’Erxleben, semblent, comme il le croit
lui-même, appartenir au même animal, et n’être en effet que des variétés
de l’espèce de l’Ouanderou. De même le Diana et le Roloway de Linné
(ce Roloway est figuré dans Buffon) paroissent encore n’offrir qu’une
seule et même espèce ; et nous avons vu à l’article du Mandrill, que le
Mormon et le Maimon sont une preuve que cette confusion est l’effet de
la différence de l’âge de ces animaux.
Pour éviter ces méprises, il faudroit non-seulement suivre ces animaux
depuis l’instant de leur naissance jusqu’au dernier terme de leur vie; mais
encore il faudroit que ce fut dans l’état de liberté, dans leurs bois , aux
climats qu’ils habitent : or, la plupart des personnes qui ont occasion de
les observer dans l’état sauvage ne les voient qu’un instant ; elles n’ont
point, comme nous l’avons dit ailleurs, l’habitude de voir la nature, leurs
yeux ne l’apperçoivent qu’à travers un nuage de préjugés, et les notions
qu’elles nous apportent sont toujours incertaines, fautives et souvent dénuées
^e^outejvénté^ ^nej^estft.donc au naturel¡xte^sédent-aire que des
dépouilles d’animaux, et ces mêmes notions rapportées par les voyageurs.
Aussi l’on ne peut nier que les meilleurs ouvrages ne fourmillent d’erreurs,
que le petit nombre de vérités qu’on y rencontre n’ait été arraché avec des
peines infinies, et que la découverte qu’on en a faite ne soit le fruit de la
patience, du courage et sur-tout du tems. Qu’on cesse donc de reprocher
à ceux qui ont illustré la science, les fautes qu’ils ont commises, ou du
moins qu’on le fasse avec moins d’amertune. Si l’on parcourt le Muséum
d’histoire naturelle de Paris, on verra que tout y rappelle les travaux de
l’illustre Buffon, que tout y est plein de la gloire de ce grand homme ; et
c est bien vainement que l’on voudroit en tempérer l’éclat par la liste (1)
(0 H y a beaucoup à retrancher de cette liste; j'ai moi-même, dans le discours préliminaire de cet
ouvrage, page 7 , note 1, accusé Buffon d’une prétendue erreur : en conséquence il ne faut avoir aucun
égard à cette phrase de la note (/è Maimon et le Macaque à queue courte, Buffon). J’avois été
trompé par une étiquette attachée à un jeune Maimon de la collection du Muséum, portant ces mots:
e Macaque a queue courte. Depuis la publication des cinq premières figures de cet ouvrage, j’ai vu
et reconnu le véritable Macaque à queue courte de Buffon. Simia Rhésus.
. B . Que l’individu vivant de cette espèce que j’ai décrit et figuré est mort de maladie, ayant
perdu tout son poil ; qu’il est actuellement dans la collection du Muséum, et que sur cette peau desséchée
les rides de la base de la queue ont disparu.
des
des erreurs qu’on lui reproche. Cependant quelqu’incertaines que soient
ces notions données par les voyageurs, il faut y avoir recours, en écartant,
s’il se peut, les fables dont la vérité est entourée. Il paroît que toutes
les espèces de Guenons, en général, habitent les forêts d’Afrique et de
l’Inde, qu’on n’en a jamais vu dans le continent de l’Amérique, et que
les singes qui habitent cette partie du monde sont des animaux très-diffé-
rens. Les Guenons vivent en troupes, et l’on a remarqué, disent les voyageurs
, qu’on ne trouve jamais parmi des Guenons d’une espèce quelconque
des individus d’une espèce différente. Ces animaux sont très-agiles ; lorsqu’ils
sont poursuivis, ils sautent d’arbre en arbre et disparoissent bientôt
dans le fond des bois ; mais lorsqu’ils sont surpris sur un arbre isolé, ils
se cachent derrière les branches, et se blottissent si bien qu’il est difficile
de les appercevoir : alors on est obligé de se cacher, de faire sentinelle et
de lasser ainsi leur patience ; et ce n’est qu’avec beaucoup de circonspection
et par des mouvemens très-lents qu’ils commencent à se montrer. On
assure que les individus qui ont vécu quelque tems en captivité ne peuvent
retourner dans les bois, qu’ils sont chassés, battus et souvent mis à mort
par les Guenons sauvages (1).
(i) « Une singularité que je n’ai jamais pu concevoir, dit Levaillant en parlant d’un singe qui l’ac-
« compagnoit dans ses voyages, c’est qu’après le serpent, l’animal qu’il craignoit le plus étoit son
« semblable, soit qu’il sentit que son état privé l’eut dépouillé d’une grande partie de ses facultés, et
« que la peur s’emparât de ses sens, soit qu’il fut jaloux et qu’il redoutât toute concurrence à mon ami-
« tié. I l m’eût été très-facile d’en prendre de sauvages et de les apprivoiser, mais je n’y songeois pas.
«..............................................Il entendoit quelquefois ses pareils crier dans les montagnes; je ne sais
« pourquoi, avec toutes ses terreurs, il s’avisoit de leur répondre ; ils approchoient à sa voix, et sitôt
« qu’il en appercevoit un, fuyant alors avec des cris horribles, il venoit se fourrer entre mes jambes,
« imploroit la protection de tout le monde, et trembloit de tous ses membres; on avoit beaucoup de
« peine à le calmer. » Voyage de Levaillant dans l’intérieur de l’Afrique.
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