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elle s’autorise par des noms respectables, souvent même elle est la base
sur laquelle on élève un système nouveau, et ce n’est qu’après un laps de
tems, quelquefois très-considérable, que la vérité sortant tout-à-coup du
nuage, vient réduire au néant et la figure et les systèmes. Buffon , qm,
trompé par un ou plusieurs individus mutilés, donna au Papion une queue
courte et tronquée, a été suivi en cela par beaucoup d’imitateurs ; et ainsi
le Papion a pris place parmi les singes a queqqjoürtè, appelés Babouins.
Une observation plus exacte leur eftt pra»i£.qué ïeEafloh est muni d’une
queue très-longueJjit-<jiié', réduit en esclavage, cet animal csi sujet à la
perdre,
les compilations en littérature ne contribuent point à l’avancement
des connoissances humaines, du moins, lorsqu’elles sont bien faites . elles
ne sauraient lui nuire ; et si elles n’en accélèrent pas la marche, elles
ne la retardent pas. Il n’en est pas ainsi de celles faites en peinture ; leur
effet, bien loin de concourir aux progrès de l’art, le fait, au contraire,
aller d’une manière rétrogade. Il n’est personne qui ne sache combien est
grande la distance qui sépare les copies des originaux, quels que soient
les talens et les efforts dmcopiste. Si l’on compare les figures des meilleures
contrefaçons de l’ouvrage de Buffon aux originaux, on sentira facilement
l’ül1 descend par degrés aux copies des copies et
aux arrières-copies, on sera convainuu. que le, eiiours-qusrxâîisêiuàja
science ces chétifs enfans de la cupidité sont incalculables.
Que l’on jette les yeux , par exemple, sur la collection des figures que
l’on a données de l’Orang-outang, on verra que cet assemblage grotesque
de caricatures est une preuve incontestable de l’excellence de cette maxime,
qu’il ne faut jamais parler que de ce qu’on voit. qu’o^touche, (S’est
d’après ces considérations que j’ai cru devoir m’imposer la loi de ne jamais
peindre ni décrire que les animaux que je verrai en nature.
• J’ai suivi à peu près dans cet ouvrage la marche indiquée par Buffon
et Linné; c’est-à-dire, que les singes y sont présentés dans le même
ordre. Mais on ne peut se dissimuler que cette méthode ne soit défectueuse
à beaucoup d’égards : ces animaux qui, considérés sous un certain rapport,
semblent se rapprocher les uns des autres, s’éloignent souvent par
des caractères de la plus grande importance, et qui paroissent indiquer
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d’une manière plus certaine les véritables loix de la nature. La plupart
des singes ne nous sont connus que par les dépouilles de quelques individus
, et cette division de Buffon, fondée sur l’absence, la présences ou la
longueur de la queue, quelque simple et naturelle qu’on la suppose, ne
sera peut-être plus supportable dès que l’organisation de ces animaux sera
mieux connue. C’est pour cette raison qu’en adoptant les familles de Buffon
et de Linné, j’ai divisé ces mêmes familles en différentes sections. Ces
divisions sont quelquefois foprlpgg simL^les--ca^ctères indiqués par des au-
teursmodemes^ .ei smivont.su rl a simple pby sionomielte^animaux, c’est-,
à-dire, sur des caractères très-superficiels ; et comme il est quelques espèces
décrites que je n’ai pu encore me procurer, j’ai renouvelle les numéros des
pages du discours à chaque division ; afin que lorsque ces espèces me parviendront,
ainsi que celles qui seront nouvelles, on puisse les placer dans
l’ordre indiqué par leurs caractères. Il résulte encore de cet arrangement
un avantage pour les naturalistes, c’est qu’ils pourront classer les figures
comme ils le jugeront à propos.
L’histoirede^singes est, et sera peut-être long-tems, difficile à connoî-
bre, les individus de chaque espèce différant entre eux d’une manière surprenante
: lis diffèrent par la grandeur, la grosseur et la couleur ; aussi
a-t-on fait plusieurs espèces d’après ces différencesjfldiyiduelles.fid. Leurs
iimmrs ne nous sont-ccmnueejine por l«.c T»tSiions des voyageurs, qüTn’ont
pas toujours les qualités nécessaires pour bien voir la nature ; il a fallu
toute la sagaçité de Buffon pour débrouiller ce cahos, toute la vivacité de
son génie pour percer les nuages qui voiloient la vérité ; et, malgré quek
ques erreurs dans lesquelles il est tombé, malgré les ridicules clameurs de
ses nombreux ennemis (2),j:’est encore à son bel ouvrage qu’il faut avoir
recours p o u r l a j ^ t u r e des singes; car depuis cet immortel auteur
on n a rien fait ni rien découvert de bien important relativement à
l’histoire ou à la nature de ces animaux. Je ne pensé pas qu’on veuille
(1) Le Maimon et le Mormon , Linn. Le Maimon et le Macaque à queue courte, Buff. etc.
(a) Qui eroiroit que Buffou, 1. créateur du Muséum François, l'un des plus beaux génies que la
rance ait produit, soit 1 objet des dédains de quelques nomenclateurs j à les entendre, Buffon
n’est pas naturaliste -, il n’est qu’un romancier, qu'un fabuliste , qui s’est permis de donner une
ameaux animaux ; qu’un littérateur élégant. Et ce n’est pas ainsi, disent-ils, que nous traitons
l’histoire naturelle. Cela est vrai.