
D I S C O U R S
Rien n’est égal à la gentillesse de ces petits Sagouins ; ceux de la seconde
section sur-tout, sont d’une vivacité inconcevable; ils s’élancent d’un
arbre à un autre avec la promptitude et la légéreté d’un oiseau : on les voit
courir sur les lianes, les femelles chargées de leurs petits qu’elles portent
sur leur dos. Ils habitent les terres élevées, et diffèrent en cela des Sapajous
qui fréquentent de préférence les terres basses et humides. Ils vont en
troupes assez nombreuses, ne fuient pas à l’aspect de l’homme, s apprivoisent
facilement et mangent de tout ce qu’on leur présente, même de la
viande cuite. Ils sont très-délicats ; ceux qu’on apporte en Europe résistent
difficilement à la traversée et au froid de notre climat, cependant avec de
la chaleur on parvient à en sauver quelques-uns ; on a meme des exemples
qu’ils peuvent produire en France.
Les Sagouins que nous connoissons, le IMico seul excepté, habitent les
environs de Cayenne et de Surinam ; mais on ne dit pas s’ils s’y trouvent
toute l’année. La variation de l’atmosphère dans ce pays, et l’extrême agilité
de ces petits animaux, peuvent faire présumer qu’ils s’éloignent de ces
contrées dans le tems qu’elles sont inondées par les pluies, qu’ils voyagent
au loin, qu’ils émigrent, et vont chercher à vivre dans des climats
plus heureux, sous un ciel plus serein : du moins la facilité qu ont lés singes,
en général, de se transporter, permet-elle d’en faire la question aux
personnes qui sont à même de les observer.
Les mouvemens des singes, en général, ont tant de ressemblance avec
ceux de l’homme, que c’est par-là qu’ils ont d’abord été remarqués ; aussi
les voyageurs ont-ils indiqué sous ce nom de singes des animaux de genres
différens : les Makis, par exemple, ont été long-tems confondus avec les
singes : en effet, ces animaux ont beaucoup de rapports avec les singes ;
comme eux ils ont des mamelles pectorales, et ont les quatre extrémités
terminées par des mains ; ils ont aussi à peu près les memes mouvemens :
de là, la méprise de presque tous les voyageurs, qui ont parle de différentes
espèces de Makis sous les noms de Singes , • Guenons, Guenuches; mais
les Makis diffèrent des Singes par des caractères tranches, qui seront indiqués
lorsque nous parlerons de ces animaux; et c’est cette ressemblance
qui existe entre des animaux de genres différens, qui m’a déterminé à
faire succéder, dans cet ouvrage, l’histoire naturelle des singes par celle
des Makis ; le nombre de ces derniers animaux n’étant pas très-considérable.
Si nous récapitulons ce qui a été dit sur les singes, nous verrons que de
tous les animaux, ce sont eux qui ont le plus de ressemblance avec
l’homme, que presque tous ont la face à peu près nue, que leurs yeux sont
placés sur un même plan ; c’est-à-dire, qu’ils ne sont pas places sur le côté
de la tête comme dans les autres animaux ; qu’ils ont, comme l’homme,
quatre dents incisives et deux canines à chaque mâchoire; que les femelles
ont les mamelles placées sur la poitrine ; que dans beaucoup d’espèces ces
femelles sont sujettes à un écoulement périodique, et que les mâles ont la
verge pendante ; enfin, que tous ont des mains, nues en dessous, et ont
le sens du toucher exquis.
Tous diffèrent de l’homme, en ce qu’ils ont le museau plus ou moins
proéminent, le nez plat, les yeux ronds, les oreilles placées plus haut, en
apparence, car cette élévation des oreilles ne provient que de l’abaissement
du sommet de la tête. La plupart de ceux qui habitent l’ancien continent
ont des abajoues, des espèces de poches dans lesquelles ils ramolis-
sent leurs alimens : à l’exception d’un petit nombre, ils ont une queue et des
callosités sur les fesses. Tous ont les pieds de derrière en forme de mains.
Quant à leur instinct, ils diffèrent de l’homme à cet égard, autant que
le reste des bêtes ; ils sont imitateurs du geste, pétulans, défians, plus ou
moins indociles, quelquefois vindicatifs. Dans l’état de captivité, il se rongent
la queue, du moins la plupart des Guenons : ils chassent aux poux.
Dans l’état de liberté, ils voyagent en troupes sur les arbres, vont en maraude,
s’avertissent du danger, et emportent leur butin. Chez quelques espèces
, les mâles sont très-lascifs, manifestent des désirs très-ardens pour
les femmes, et se portent quelquefois, dit-on, aux dernières extrémités.
J’ai dit que la plupart des espèces offrent de nombreuses variétés, et que
quelques-unes de ces variétés s’éloignent tellement de l’espèce originale,
qu’il est souvent très-difficile de la reconnoître. J’ai fait les plus grands efforts
pour connoître et détruire les erreurs ; j’ai cherché la vérité , et j’espère
que ceux qui ont observé les singes avec quelqu’attention, convaincus
des difficultés innombrables que présente l’histoire naturelle de ce genre
d’animaux, me pardonneront les fautes, sans doute très-multipliées, que
je dois avoir commises.