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que lui ont assignée Buffon et Linné, en indiquant ce que des naturalistes
plus modernes ont écrit sur cet animal.
Les Grecs connoissoient deux espèces de singes sans queue, le Pithèque
et le Cynocéphale (1), que nous appelons Magot. Le premier, disent-ils,
diffère du Cynocéphale en ce qu’il a le museau moins long et les dents
canines plus courtes j il est aussi d’un naturel plus doux. Quelques recherches
qu’on ait faites jusqu’à ce jour pour connoître le Pithèque des
anciens , elles ont toutes été inutiles. Buffon a donné dans ses Supplémens
la ligure d’un singe sous le nom de Pithèque, qui avoit été rapporté vivant
de Barbarie par le professeur Desfontaines. Cet animal avoit tous les caractères
attribués au Pithèque ; mais il étoit jeune, et quelque tems après
ses dents canines s’alongèrent, son museau grossit, et l’on reconnut bientôt
dans cet individu un véritable Magot.
Linné a indiqué le Pithèque sous le nom de Sylvanus ; il a , dit-il, le
front élevé à l’endroit des sourcils, la face courte, plate, et le pelage
d’ours. Ce Sylvanus à pélage d’ours-seroit-il d’espèce différente que le Pithèque
d’Aristote, qui, dit cet ancien auteur, est fait comme un Cynocéphale
? J’ai vu plusieurs jeunes Magots ou Cynocéphales, ils ont tous
les caractères qu’Aristote donne à son Pithèque ; ils varient quelquefois
par la couleur, mais je n’en ai jamais vu à pélage d’ours.
Quoiqu’il en soit, je crois que le Pithèque d’Aristote et le Cynocéphale
ou Magot ne font qu’une seule et même espèce ; et je suis d’autant plus
porté à le croire, que dans toutes les espèces de singes les individus varient
singulièrement, soit par la grandeur, soit par la couleur. Ces différences
proviennent sans doute du climat, de la nourriture et de l’état de
liberté ou d’esclavage dans lequel ils vivent. Il se peut aussi que dans les
singes l’accroissement soit beaucoup plus lent que dans les animaux de
genres différens, et qu’ils soient capables de s’accoupler même avant
d’être parvenus au dernier terme de leur grandeur. Si cela est vrai, il n’est
pas étonnant qu’Aristote, qui n’a écrit que d’après les rapports des chasseurs
qu’il avoit envoyés à la recherche des animaux, ait fait du jeune Cynocéphale
et du Cynocéphale adulte deux espèces différentes.
Le Pithèque a les dents canines comme celle de l’homme ; c’est-à-dire,
presque aussi courtes que les incisives, et le Cynocéphale diffère du Pithèque
en ce qu’il a les canines beaucoup plus longues, plus grosses et le
museau beaucoup plus alongé. Cet alongement du museau ne provient que
(1) Il ne faut pas confondre le Cynocéphale des anciens, avec le Cynocéphale des modernes, qui
est un animal très-différent.
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de l’accroissement considérable des dents. Le Cynocéphale est iéroce indomptable
, et le Pithèque est, dit-on, plus doux et plus facile à apprivoiser.
On reconnoît ici la loi générale de la nature, qui donne aux jeunes
animaux, la douceur et la docilité, compagnes de la foiblesse, et aux vieux,
la férocité et la défiance, suite nécessaire du sentiment de leur force, de
la connôissance du danger et de leur expérience. Il faut encore remarquer
que ces dents plus ou moins longues, et ce caractère plus Où moins féroce,
sont les seules différences indiquées par l’auteur grec. D’ailleurs cette histoire
du Pithèque de Buffon devenu Magot, par l’accroissement des dents,
est, ce me semble, une preuve incontestable que ces animaux ne doivent
être considérés que comme une seule' et même espèce.
^ Le Magot, pris jeune, est susceptible de recevoir une sorte d’éducation ;
c’est presque toujours de lui que les charlatans se servent pour amuser les
passans:mais vieux, cet animal est indomptable. J’en ai vu un qui Voulut
étrangler l’homme qui en avoit soin, on lui fit arracher toutes les dents •
je croyois qu’une opération si cruelle devoit le faire mourir, mais six mois
après je le revis : on le montroit sous le nom d’Orang-outang.
J’ai vu et dessiné une femelle de cette espèce, dont les callosités des
fesses, ainsi que la vulve, étaient d’üne grosseur prodigieuse, presqu’aussi
grosses que l’animal lui-même : on m’assura que cet effet n’étoit pas nom
veau, et qu’il avoit lieu chaque fois que l’animal étoit en chaleur. Je soup-
çonnai que ce n’étoit qu’une maladie causée par la privation du mâle • je
remarquai qu’en effet cette femelle s’asseyoit sur la cuisse, et que chaque
fois quelle rendoit ses excrémens, ou son urine, cet acte étoit accompagné
de cris très-dôuloureüx.
L’espece du Magot est assez répandue : on la trouve en Afrique, en
Asie, et même en Europe, si, comme' on le prétend, il y en a sur la
montagne de Gibraltar. Ils sont si communs en Barbarie que les arbres eH
sont quelquefois couverts ; ils vivent de fruits, et servent à la nourriture
des Arabes du désert.
On voit à Alger, dans les maisons dés'Francs, de jeunes Magots qui
sont très-familiers, et en même tems très-incommodes, par l’habitude-
quils ont de faire leurs ordures par-tout où ils se trouvent; les chari-r-n;
étant mutiles pour les en corriger.
Le Magot n’a point de queue, seulement il a un petit- appendice de
peau, long de six lignes. Il a des abajoues, des callosités sur les fesses et
-des dents canines très-fortes. Sa face est basanée, tachetée de brun • le
dessous des yeux est blanc; les yeux sont d’un gris-vert. Tout son corps