
topographique représentoit avec une merveilleuse
perfection quatorze lieues de pays à peu près à une
telle échelle, que les grands sommets s’y éle—
voient de deux à trois pouces au-dessus d’une
table donnée comme le niveau de la Mer ; les
lacs et les cours d’eau y étoient représentés par
de petites portions de miroirs parfaitement ajustées
; les forêts y étoient très-bien marquées avec
de la raclure de draps verts de diverses nuances;
la végétation inférieure s’y trouyoît exprimée avec
discernement; les glaciers surtout étoient distinctement
rendus avec leur teinte de lait et d’azur;
on avoit poussé l’exactitude jusqu’à tailler les rampes
abruptes dans les propres roches qui composent
les coupures correspondantes sut les Alpes.
Dans ce temps on bâtissoit quelques maisons à
côté du lieu où se voyoit la Suisse en miniature ;
des tombereaux y venoient bouleverser le sol et
transporter des décombres sur un pavé culbuté.
Après tout le désordre causé par les pieds des
chevaux et par les roues des voitures, survint une
pluie d’orage : du sable, de la boue , de la chaux,
du mortier délayé, des pierres de diverse nature ,
avec les crêtes des ornières, ne tardèrent pas à former
des alpes en diminutif parfaitement pareilles
à celles de Pfyffer ; on y voyoit leurs cimes, leurs
contre-forts, leurs rocs, leurs vallées, leurs rivières
avec leurs lacs ; et quand deux jours de soleil
eurent occasionné, dans cette formation d’un cata-
clisme de l’avant-veille, des crevasses et des ébou-
lemens, la ressemblance devint complète. Nous
avons depuis observé bien souvent de ces alpes du
moment, et pris, en considérant sérieusement ce
qui n’étoit que de méprisables tas de boue aux yeux
des passans, une profonde idée du néant et de l’orgueil
humain ; nous avons toujours reconnu les substances
qui concouroient aux formations nées sous nos
pas, et suivi leurs transports au point de pouvoir
nous dire : ce petit attérissement a été créé aux
dépens de telle ou telle élévation ; ce fragment
appartient à cet autre-; ce caillou, qui représente
ici un rocher, s’est détaché de cette pierre. Mais,
lorsque multipliant l’échelle de nos monts de pygmées,
nous la portions à celle du Mont-Blanc,
par exemple, quelques pouces de distance devenant
des milliers de toises, nous concevions comment
des terrains qui, séparés de plusieurs lieues et placés
à des niveaux très-différens, eussent été regardés
par les géologues comme d’époque et d’origine i
diverses dans un vaste système de hauteur , se trou-
voient dans ce gâchis, objet de nos méditations,
le résultat des affaissemens et «transports occasionnés
par quelques gouttes de pluie ; ailleurs, des
quartiers de pierre arrachés du pavé, tout en désordre
, formoient des pics saillans à nos pieds ; et
comme nous commissions leur origine, nous résolûmes
de nous tenir en garde contre quiconque
viendroit soutenir que les roches constitutrices du
noyau des monts primitifs doivent être partout
superposées à des roches qui ont vécu, parce que ces
roches qui ont vécu, nous cachent quelquefois les
racines de celles dont la composition précéda toute
existence organique.
Les géographes, qui jusqu’ici n’ont pas adopté
une nomenclature uniforme, ainsi que nous l’avons
fait sentir lorsqu’il a été précédemment question
de la M e r , ayant appelé Chaînes les massifs de
montagnes, quelques-uns ont imaginé que toutes
les.montagnes s’enchaînoient. Cette erreur, provenue
d’un abus de mots, a donné lieu à ces bizarres
planisphères, où nous avons déjà dit qu on
fit faire aux Alpes le tour du Monde , tantôt pardessus
, tantôt par-dessous les flots. En dépit de
telles rêveries, on observe dans la plupart des groupes
de montagnes qu’on lioit les unes aux autres,
des séparations très-considérables qui proscrivent
toute idée d’unité : la division la plus naturelle
qu’on en puisse faire, doit consister en SYSTEMES,
et nous désignerons sous ce nom : des amas de grandes
inégalités de la surface du Globe, composés
de points culminans d’une même formation de
roches, d’où rayonnent ou descendent parallèlement,
causés par des fracassemens , ou désunis par
l’action des eaux courantes , des contre-forts de nature
diverse, lesquels s’abaissent graduellement jusqu’aux
coteaux qui en forment comme les racines,
et que bornent- des plaines ou des mers. Chaque
système fut originairement une île, et apparut à la
place continentale qu’il domine à son tour, et en
raison de la quantité d’eau dont l’Océan environnant
s’étoit appauvri ; qu’on suppose une diminution
de deux ou trois cencs toises encore, plusieurs
archipels seront métamorphosés en systèmes. de
montagnes, ou des îles actuelles se trouveront des
sommets, tandis que les détroits y deviendront
des cols, et de ces Dépressions dont il sera question
ci-après ; ce qui, cependant, n’établit pas
que ces systèmes existent déjà tous formés sous
les eaux ; il faudra, pour en compléter la physionomie
alpine, que le dessèchement y cause des
crevasses au moyen desquelles plus d’une couche
calcaire, que préparent horizontalement des animaux,
sera soulevée, renversée et déchirée par les
eaux pluviales après 1 exondation.
On a appelé Tertiaires les hauteurs dont la formation
paroîc être plus moderne encore que celle
des systèmes secondaires, La confusion qui règne
souvent dans les fragmens dont ces montagnes tertiaires
se composent, prouve que leur origine résulte
de révolutions physiques qui ne pouvoient avoir lieu
avant que des monts antérieurs eussent existé , et
qu’il se fût même opéré de grands fracassemens dans
ceux-ci. Des montagnes de ce genre, c’est-à-dire
postérieures à toutes autres, se peuvent aussi former
chaque jour aux dépens d’un sol qui s’élève
; ou qui s’affaisse , et que travaillent les eaux pluviales
, ou quelqu’un de ces débordemens appelés dé-
| luges par les historiens. Quant à l’élévation ou bien
à l’abaissement du sol, que nous croyons capable
de changer la physionomie de la croûte du Globe en
f divers lieux, il est impossible d’en révoquer en doute
les immenses effets. Nous ne connoissons pas assez
la nature des couches dont se forme la croûte du
Globe, même à peu de profondeur, pour prononcer
qu’il n’est pas de ces couches qui, sur de grandes
étendues, ne puissent absorber de l’eau et s’en
pénétrer au point de se gonfler comme le font des
éponges préparées, introduites dans les plaies d’un
blessé, et qui les dilatent. On sent que par un pareil
mécanisme, opéré en grahd dans l’Univers, des
contrées entières ont dû se soulever ; et nous avons
ouï dire qu’un géologue , dont plusieurs opinions
ont acquis beaucoup de poids, attribuoit à de telles
causes le soulèvement général des régions Scandinaves,
en expliquant par elles la diminution en
profondeur des eaux de la Baltique. Quoi qu’il en
'puisse être de l’élévation générale attribuée à ces
régions du Nord, on en eut des exemples ailleurs ;
tandis qu’au contraire des couches inférieures, plus
facilement pénétrables par l’eau que celle où cet
élément ne produisit que de la dilatation, ont dû
être entraînées en se délayant : il est alors demeuré
des vides inférieurs dont l’effondrement a produit
en petit ce que nous retracent enJ grand les systèmes
primitifs, c’est-à-dire des cassures abruptes,
des précipices, et l’élévation de quartiers de terrain
qui ont, plus tard, reproduit toutes les formes
que nous reconnoissons dans les montagnes antérieures.
Il n’est pas jusqu’aux vents qui n’aient le
pouvoir de modifier le terrain au point de produite
des espèces de montagnes, mais celles-ci sont mobiles
et changeantes comme la cause qui les élève,
qui les abaisse ou qui les promène. M. Desma-
rest en a longuement traité au mot D unes , où
nous renverrons le lecteur, afin d’éviter les répétitions.
Pour mettre le lecteur en état d’apprécier la figure
que devoit offrir la Terre, lorsque quelques
centaines de toises d’eau y étoient en plus, et avant
de rechercher quelle pouvoit être cette figure,
nous commencerons, par donner une liste , beaucoup
plus considérable que celles qu’on a imprimées
jusqu’ici, de hauteurs calculées. Ces hauteurs
seront disposées dans notre travail selon les rapports
qu’elles nous paroissent offrir avec les grandes
îles primitives, dont nous chercherons tout à l’heure
à reconnoître l’antique existence pour établir les
berceaux respectifs et les points de départ des
grandes familles qui se reconnoissent parmi les
êtres organisés. •
Hauteurs déterminées de quelques points du Globe,
entre lesquelles se trouvent celles des principales
montagnes (i).
DANS L’OCÉAN ARCTIQUE.
toises. mettes.
Pointe-Noire (Spitzberg).......... 703 1370
Le Parnasse (île Saint-Charles). 6 18 1104
Snoefiels-Jockul * (Islande). ; . . 800 1559
Ronaberg (île Schéland). . . . . . 644 12.5 5
L ’Heckja * ( Islande ) ................. 519 1013
Mont Skaling (îles F é ro ë r ) .. . 340 661
Ile Kilda........................................ 300 585
DANS L’OCÉAN ATLANTIQUE.
Pic de Ténériffe * ................... .. 1910 3741
Monton de T r igo * (Ténériffe). 1481 2888
Pic des Açores * ................... * 1137 2411
Monts de Guimar* (Ténériffe). 1225 2387
Pic de los Muchachos * (île de
Palme, dans les Canaries)............ 1193 232^
Pic de San-Antonio* (îles du
Cap-Veft).......................................... 1 15 7 ü 5 5
Pico Ruivo * (île Madère). . . , 965 1880
Volcan de Fuégo* (îles du Cap-
Vert.................................... .. 667 1319
Sommet de Tristan d’Acugna * .. 550 1072
Pic de Diane* (Sainte-Hélène). 420 819-
E n c h o ld * ................................... 419 816
Mont de Hallay * . . . ................. 386 752
Montagnes Saint-Pierre * ( l’Ascension
) .............. 347 6-j6
Volcan de Lancerotte* (Canaries)..........
......................................... 292 36.9
Pic de la Corona * ( île de Palme,
dans les Canaries)............................ 292 569
C1) Ijes astérisques indiquent les monts volcaniques,
soit brûlans , soit éteints.