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ANALYSE
ce chapitre, n’entendant point donner une théorie
de la Terre ; nous n’examinerons pas non plus quel
rôle la charpente pierreuse, d’où résulte la solidité
des montagnes, joue dans l’ensemble de celle-ci ;
c’est au mot ROCHES que M . Huot en traitera dans
l ’ordre alphabétique. Il suffit, dans cette Illustration,
de dire un mot sur la distinction qu on
a dès long-temps établie entre divers ordres de
montagnes sous le nom de primitives ^ de secondaires
j de tertiaires ^ etc. ; encore que la propriété
de telles désignations ne pût soutenir l’examen
grammatical, elles sont généralement adoptées :
exprimant d’ailleurs à certains égards ce que voulurent
dire leurs inventeurs, force nous est de les
conserver. Ces noms prouvent en outre, qu au
fond, tout le monde est frappé des preuves multipliées
que fournissent les montagnes à la manière
de voir de ceux qui croient fermement à la diminution
lente, continue et graduelle des eaux. En
effet, on entend par primitives j les montagnes
les plus élevées, celles conséquemment dope les
sommets apparurent avant tout autre à la superficie
de l’amnios terrestre ; par secondaires, tertiaires
(et l ’on pourrait augmenter ce nombre de
noms comparatifs), celles à qui leur hauteur ne
permit d’apparoître que dans Tordre successif de
la diminution des eaux.
Les montagnes dites primitives étant les plus
élevées, atteignant aux sereines^limites de, l’atmosphère
où les conditions nécessaires a l’organisation
végétale et animale n’existent plus, leurs
sommets demeurent frappés de mort, silencieux
et dépouillés. Lorsqu’un froid rigoureux ne les
revêt pas de frimas éternels, pareils à ceux
des pôles , ces hautes régions sont encombrées-
de glaciers qui ne se fondent jamais, et de
neiges durcies dont la masse, en beaucoup d’en-
droits, paroît augmenter, parce que chaque'hiver
en ajoute plus que les étés n’en rendent à l’érat
aqueux. Ces glaciers et ces amas de neiges sont
comme des réservoirs placés au-dessus de la terre
pour son arrosement : ce n’est jamais par leur surface
qu’on les voit diminuer; cette surface, au
contraire, est, la plupart du temps, très-dure, inégale
comme une mer clapoteuse , polie et brillante^
le pied le plus affermi risque d’y glisser, et
l ’on ne peut la parcourir qu’a l’aide d’une chaussure
armée de crampons, Nous l’avons vue souvent aussi
résistante, aussi sèche aux rayons du soleil de midi
qui la rendoient éblouissante et faisoient monter
le thermomètre de Réaumur jusqu’à quinze degrés
au-dessus de zéro, qu’elle l’éroit pendant la nijic,
où le mercure descendoit au-dessous de six. Aux
mêmes lieux , quelque cassure profonde dans la
masse du glacier, quelqu’écartement de ses parois,
quelqu’affaissement général, laissôient entrevoir
des espaces de sol mis à nu,.exposés au jour, et
devenus de petites prairies de mousses, et autres
timides plantes alpines, ou bien des lagunes d’une
admirable pureté ; on reconnoissoit dans ces lagunes
et dans les filets d’eau courante qui arrosoir la
végétation, le résultat d’une fonte intérieure s’opérant
aux limites contiguës du glacier et du sol.
C ’est toujours par-dessous que les couches de neiges
se fondent sur les monts, où leur séjour est très-
long ou continuel ; c’est par l’influence de la chaleur
exhalée du Globe même que cette opération
a lieu, et peu où point par l’influence solaire, annihilée
pour ainsi dire à la surface des glaciers. Ce
fait, que nous donnons pour certain, est donc
encore une preuve de l’erreur étrange où tomba
Péron, qui, n’ayant peut-être jamais gravi sur
une montagne de deux cents toises, n’en îm-
primoïc pas moins : « La source unique de la
chaleur de notre Globe, c’est le grand astre
qui l’éclaire-j sans lui, sans l’inflence salutaire
de ses rayons, bientôt la masse entière de la
Terre congelée- sur tous les points ne seroit
qu’une masse interne de frimas et de glaçons :
alors l’histoire de l’hiver des régions polaires seroit
celle de toutes les planètes.» Nous ne savons
pas ce qui se passe dans les autres planètes, où
nous n’avons jamais été, et ouels y peuvent être
les effets de l’influence du grand astre qui les éclaire;
mais nous savons fort bien , pour l’avoir éprouvé
sur quelques-unes des grandes hauteurs de la nôtre,
que le grand astre, dont la présence radieuse fait
resplendir là surface des glaciers, la fait raremenr
fondre ; c’est de la planète, au contraire que vient
évidemment la: chaleur, comme on le verra dan;
la suite du présent chapitre : aussi voit-on les Primevères
, les Saxifrages, les And rosaces, les Salbines,
les Silènes, les Violettes et autres mignonnes parures
d’une nature plus hâtée de former des fleurs
que des feuillages, s’épanouir avec une surprenante
promptitude à la racine des glaciers, à mesure que
la masse de ceux-ci se fond pour découvrir le sol ;
tandis qu’on voit geler ces plantes dans nos jardins
de botanique, quand on a l’imprudence de les y
cultiver en pleine terre.
Dans nos régions inférieures, où le grand astre
exerce une si grande puissance, ce n’est pas la
chaleur qui tue de tels végétaux, elle peut les y
modifier seulement s’ils parviennent à s’y acclimater;
c’est le froid au contraire qui les fait périr,
parce qu’ils ne le connoissent pas, sur leurs montagnes
,
r w
gnes, où la neige et la glace les tiennent abrités
comme en orangerie , et réchauffés par la douceur
.de la température du sol ; c’est encore à cette chaleur
terrestre qu’on peut attribuer la chute des
avalanches si fréquentes dans les montagnes à glaciers.
Si la chaleur attribuée au grand astre par
Péron étoit l’agent unique qui rend l’eau congelee
à sa forme liquide, celle-ci accumulée sur les montagnes,
où le soleil brille du plus v if éclat, fondant
à sa présence de l’extérieur à l’intérieur, s’é-
couleroit naturellement sans entraîner la moindre
partie de la masse concrète : mais la surface pétrifiée
du glacier repousse , en les réfléchissant, les
rayons du jour, tandis qu’en dessous s’opèrent,
par une fonte perpétuelle qui a souvent lieu dans
une complète obscurité à d’assez grandes profondeurs,
des cavités considérables, d’où suivent les plus épouvantables
affaissemens. D ’énormes quartiers d’eau
solide ainsi déplacés, se détachant, vont rouler avec
fracas vers les régions inférieures, entraînant avec
d’autres glaçons les-arbres des forêts inférieures, et
jusqu’aux rochers gisans dans le trajet. Ce sont encore
ces affaissemens du dessous qui causent-, dans
l’étendue des amas de neiges éternelles durcies,
ces larges fissures qui ne permettent guère d’en
parcourir la totalité, et qui, dans leur profondeur,
présentent comme des précipices où le bleu le plus
beau passe pour toutes les teintes, depuis celle de
l’azur du ciel le plus tendre jusqu’à celle de l’indigo.
Dans certains aspects, les cassures, des grandes
masses d’eau congelée offrent constamment
la même couleur, et les lagunes qui se forment
à leur base, ou dans plusieurs de leurs cavités,
partagent cette propriété de n’absorber que des
rayons bleus , la surface réfléchissant probablement
les autres.
Autant on est frappé de la dureté extérieure
d’un glacier brillant à l’ardeur du soleil, autant
on l’est de voir le sol sur lequel il re-
pose, lorsque des rochers nus ne lui servent
pas immédiatement de support, réduit en boue
qu entraînent en coulant des milliers de petits filets
d’eau formés par les gouttes de la glace fondant
en dessous ; c est ce que, dans certains cantons,
on nomme sourcillement, c’est à-dire l’effet
de très-petites sources, et cette expression, pour
n’être point admise , n’en rend pas moins fort bien
la chose ; c’est ce sourcillement qui forme bientôt
a peu de distance, d’innombrables ruisselets, et
qui alimente ces beaux lacs d’azur, origine et prer
miers réservoirs des rivières. Le rôle de ce sour-
cillement, dans l’économie du Globe terrestre
peut être comparé à celui que remplissent, dans
l’économie animale, les premières ou dernières
ramifications veineuses en préparant le retour du
sang vers l’organe qui en est le réservoir. Nous
n’y trouvons point d’analogie directe avec un système
artériel, c’est l’évaporation exercée sur les
mers qui remplit invisiblement les fonctions de ce
dernier appareil, et qui ne se met pas plus directement
en rapport avec les sourcilles, sortes d’oscules
veineux, que les extrémités artérielles ne s’y mettent
avec les petites sources de nos veines. Voici comment
a lieu la circulation par l’intermédiaire des
glaciers : l’eau, après s’être évaporée à la surface
des mers et des terres humides, se cristallise en
neige qui vient se déposer à la surface des glaciers,
sous la forme d’une couche destinée quelque jour a
se trouver inférieure, quand celles où elle s est
superposée se seront successivement fondues. Les
pluies demeurent étrangères à cet intéressant phénomène
; elles ne tombent point ou ne tombent
que très-extraordinairement au-dessus de la région
des neiges éternelles, où l’atmosphère, raréfiée ,
semble s’être purgée de ces vapeurs que leur poids
retient flottantes sur les couches assez épaisses
pour les soutenir, et que le vulgaire appelle Vaïr*
Les pluies étoient d’ailleurs inutiles où nulle végétation
n’avoit besoin d’arrosement ; elles sont
réservées pour ces pentes inférieures, où la Nature
paroît se montrer d’autant plus prodigue de végétaux
magnifiques, qu’à peu de mètres au-dessus
elle devient totalement stérile.
La limite des neiges éternelles et des glaciers
n’esc pas la même sous toutes les latitudes dans
les hautes montagnes primitives ; elle commence
à diverses élévations, selon qu’on s’éloigne de
la zone torride pour remonter vers le nord. On
a imaginé que cette limite marquoit une grande
courbe partant des pôles et passant entre deux
mille quatre et deux mille cinq cents toises au-
dessus de la surface de l’Océan sous l’équateur;
on a ensuite imaginé au dessous de cette ligne,
d’autres lignes Isothermes 3 ou d’égale température
annuelle moyenne , en supposant que ces
isothermes circonscrivoient exactement les zones
de propagation ascendante des plantes et des animaux.
Cette théorie a fait fortune, mais on ne
doit pas y accorder plus d’importance que ne lui
en accorde probablement son auteur lui-même,
qui a fort bien senti que le phénomène de la
hauteur à laquelle se conservent les neiges dans
la saison la plus chaude de l’année , est très-
compliqué et dépend autant des inflexions de ses
lignes isothermes, que de celles des inflexions
des Isothères, lesquelles sont des lignes de tem