forte que ceci feroit comprendre ce que Pline dit de la flotte S Alexandre
le Grand. Les vaiffeaux, dit-il, ne pouvant paffer un à un à travers cette
armée de poiffons, qu’aucun bruit ne pouvoit difperfer, ils furent obligés
de fe former en bataille rangée, & d’avancer contre ces poilfons, comme
fi c’eût été l’ennemi a'). Ceux qui paffent de la mer Noire dans la
Méditerranée, font fur la côte droite du détroit; mais lorfqu'ils en fortent,
on les trouve fur la côte gauche. Arijlate i ) , & après lui Ælian, Jove c)
& Pline <T) en ont conclu, que ce poiifon voit plus clair de l’oeil droit
que du gauche. Mais comme toutes les parties de leur corps ont une force
égale des deux côtés, il y a apparence qu’il en eft de même des yeux. Il
eft plus probable que la raifon de ce changement déplacé, fe trouve dans
la différente direction des fleuves e) ; car ce poiffon, de même que nous
l’avons remarqué dans le faumon, remonte les fleuves au printems, &
fuit après cela’leur courant. Il n’eft pas inutile de remarquer encore que,
félon Arijlote, lorfque ce poiffon veut dormir ou fe repofer, il fe retire
derrière les pierres & les rochers f ) : particularité que l’on a remarquée
de nos jours à l’égard des fàumons.
La plus grande partie de ces poiffons vient de l’Océan dans la mer
Méditerranée. Ils fe divifent en deux troupes ; l’une cherche les côtes de
l’Afrique, & l’autre celles de l’Europe. Ceux de la dernière troupe vont
dans la mer d’Efpagne, de France, de Ligurie & dans le canal de
Piombino ; enfuite ils paffent par le canal de l’île d’Elba & de Corfe, &
viennent en Sardaigne. Après avoir frayé, ils retournent dans les mêmes
piers d’où ils font fortis.
On prend le thon avec un grand filet en forme de fac, connu en
France fous le nom de madrage, & en Italie fous celui de tonnaro.
La perfonne la plus importante pour cette pêche, eft nommée Rflis, ou
grand Commandant. Ce chef doit avoir une connoiffance fuffifante de tout
ce qui a rapport à la pêche du thon. Il faut qu’il connoiffe à fond le naturel
de ce poiffon; il faut qu’il fâche avec la plus grande exactitude, les
endroits où il y a des fonds, ou des élévations, & qu’il connoiffe aufli les
couleurs qui peuvent influer fur la pêche, Puis, d’après un plan conçu
auparavant, former un édifice immenfe avec un filet tendu avec vîteffe
& folidité en pleine mer ; de forte qu’au milieu d’une tempête, il foit
immobile comme un rocher. Les pêcheurs ne paroiffent dans la mer que
a ) N. H. lib. 9. c. 3. e) Pour les fleuves du détroit de Conftantinoi
) H. A. lib. 8- c. 10. pie, voyez Stephan Schul[ Leitungen desHöchften
c ) Lib. i l . c. 17. nach feinem Rath auf Reifen. Tom. IV. p. 99.
d) Lib. 9. c. 17. f ) Hift. Anim. lib. 4. c. 16.
vers le commencement du mois d!Avril; & e’eft dans ce tems qu’ils
préparent leurs tomarçs.. Ils forment une efpèce de fertereffe maritime,
qu’ils élèvent à grands frais, avec de gros filets, qu’ils fixent au fond de la
mer avec des ancres & des poids de plomb. On peut fe faire une idée d’un
tonnaro „par ce qu’en dit Mr. Ç e tti, monté fur un petit bùtiment léger qui
alloit par le moyen de dix rames ; il lûi fallait trois quarts d heure pour
aller d’un bout à l’autre. Quand les pêcheurs abordent, on les reçoit au
bruit du canon. Ces tonnaros s’élèvent toujours dans les paffages qui font
entre les rochers & les îles : lieux où l’on trouvé ordinairement une grande
quantité de thons. On bouche foigneufement l’entrée de ces paffages avec
dés filets : on n’y laiffe qu’une petite ouverture, qu’on nomme la porte
extérieure du tonnaro. Cette porte conduit dans la première chambre, ou
falle comme on l’appelle. Dès que les poiffons font entrés dans la falle,
les pêcheurs qui font aux aguets, bouchent la porte extérieure, en laiffant
tomber un petit morceau de filet, qui empêche les thons de fortir. Enfuite
ils ouvrent la porte intérieure de la falle, qui conduit dans la fécondé
chambre, qu’ils appellent Xantichambre. Pour les faire entrer dans cette
chambre, on fe fert de l’artifice fuivant: on prend une poignée de fable,
que l’on jette fur les poiffons, & on répète cet exercice jufqu à ce qu ils
foient tous dans la partie qu’on nomme Pantichambre. Le thon eft fi
fetilible, que dès qu’il fent les grains de fable, il s effraie, & fe fauve
dans l’antichambre. Mais quelquefois le fable neft pas fufiifant pour
l’efirayer : alors on defcend dans la mer une figure effrayante, faite avec
une peau de mouton. Si tout cela ne fuffit pas encore, on ferme la
chambre par un grand filet, que l’on nomme liagiarro ; & on force enfin
le poiffon à céder. Dès qu’ils font tous entrés dans lantichambrg, on
ferme aufli la porte intérieure, & on ouvre l’extérieure, afin de faire entrer
une nouvelle compagnie. Quelques tonnaras font compofés d’une grande
quantité de chambres, dont chacune a fon nom particulier a) : mais
la dernière chambre fe nomme toujours la chambre de mort; & elle eft
compofée de filets & d'ancres plus forts que les autres. Dès qu on a amaffé
une quantité ^fuffifante de thons, on les fait tous paffer des autres
chambres dans la chambre de mort, où la bataille commence. Les
pêcheurs, & quelquefois des perfonnes de diftinition, font armés dune
pique ou javelot, & tombent fur ces animaux fans défenfe. Ceux - ci
pouffés au défelpoir, fe débattent vivement, font jaillir l’eau, déchirent
les filets, fe brifent fouvent la cervelle contre les rochers ou les bateaux
a') Caméra di morte, caméra di ponente, il Baftardo', Bordonale di ponente, il grande oflia Foratica,
Bordonale di levante, Caméra di levante, Coda, Codardo. Cetti. Sar,d. III. tab. 1.