religion lui commandoit de se dévouer à ce grand crime. Cet insensé,
que sa jeunesse rendoit plus facile à séduire, arriva secrètement
au Kaire ; et après avoir passé trente jours en prières dans les
mosquées, il accomplit son funeste dessein. Kléber étoit sans armes
et éloigné de ses gardes; il fût frappé tout-à-coup de plusieurs coups
de poignard, et il expira quelques instans après. Aussitôt que cette
nouvèlle fatale fut répandue dans les provinces de l’Egypte, l’armée
d Orient fit éclater des regrets unanimes ; elle arrosa de ses pleurs
le tombeau d’un chef illustre qui venoit d’opposer la victoire aux
injures des négociations, qui succomboit au milieu de ses trophées,
et que la patrie comptoit depuis long-temps parmi ses plus généreux
défenseurs. Les généraux Français s’étoient réunis dès les
premiers instans qui suivirent sa mort. Celui que les lois militaires
appeloient au commandement de l’armée, donna sur-le-champ les.
ordres que la gravité des circonstances exigeoit ; les troupes se
montrèrent fréquemment au peuple, l’artillerie se fit entendre, et
les pavillons Français furent placés aux minarets des mosquées.
Ces précautions étoient d’autant plus nécessaires, que, dans les
révolutions fréquentes qui troublent 1 Orient, la mort violente du
chef est presque toujours suivie de l’anéantissement de son parti
et de la dispersion de ses soldats. L ’assassin Soliman avoit été
arrêté; aucun des Egyptiens n’avoit participé à son crime : on
découvrit trois complices à qui il avoit confié son dessein, et
qui étoient, comme lu i, Syriens d’origine ; ils furent tous condamnés
aux peines qui devoient leur être infligées, suivant les lois
Musulmanes. Pendant la longue durée de son supplice, Soliman
récitoit quelques versets du Koran, et reprochoit aux Musulmans
de ne l’avoir point secouru.
Les habitans de la capitale concoururent à la solennité des
obsèques du chef de l’armée Française ; ils virent bientôt son
successeur exécuter les projets utiles qui avoient été conçus immédiatement
après la conquête. Profitant des avantages qu avoient
procurés nos derniers „succès, le Général en chef s attacha à consolider
l’empire des lois, à perfectionner 1 administration des impôts,
à favoriser les progrès de l’agriculture, de l’industrie et du
commerce ; il se consacrait en même temps aux intérêts immédiats
de son armée, qui recevoit de lui 1 exemple du dévouement et de
la persévérance. Les cultivateurs, que l’avarice imprudente de leurs
anciens maîtres condamnoit à l’abjection et à la servitude, jouirent
avec une entière sécurité du fruit de leurs travaux. On forma de
nouvelles alliances avec les Arabes, et 1 on concéda a quelques
tribus des terrains inhabités, que les dissensions civiles avoient
enlevés à la culture; on fonda sur des mesures précises le système
général des irrigations, et 1 on D ° s efforça de prévenir tous les
inconvémens attaches a la disposition confuse ou a 1 usurpation
des eaux; .on accorda des récompenses publiques aux habitans des
campagnes qui multiplioient les arbres utiles; on réunit dans un
vaste établissement les plantes et les arbustes étrangers dont il con-
venoit de propager la culture : les arts de l’Europe commençoient à
faire des progrès en Égypte, et l’industrie s’animoit de toutes parts.