
témoins les princes croisés; ."mais il y avoit plus de quatre siècles
qu’il se passoit en Égypte des révolutions semblables.
Après l’extinction des Ayoubites, cette belle contrée demeura
soumise à des esclaves militaires, nés entre la mer Caspienne et la
mer Noire. Le gouvernement des souverains Mamlouks ne fut;
pour ainsi dire, ni héréditaire, ni électif. La naissance donna quelquefois
le premier rang : mais le meurtrier du prince étoit presque
toujours son successeur. II y eut autant de révolutions que de
règnes. Plusieurs se disputoient le pouvoir, et se 1 attribuoient en
même temps, dans la Syrie, au Kaire ou dans le Saïd. Quelques
chefs de cette anarchie ont gouverné avec éclat. Conquérans de la
Syrie, ils humilièrent l’orgueil des Mogols, repoussèrent les Européens,
et portèrent leurs armes victorieuses dans 1 Yemen, Iile de
Chypre, l’Arménie; mais on ne remarque, dans tous ces evene-
mens, que des traits d’audace, de vengeance, de fourberie, d ignorance
et d’ambition fougueuse. On ne peut disconvenir cependant
que la religion Musulmane ne tempérât les malheurs de ces
temps; elle fit naître, dans ces ames violentes, quelques senti-
mens humains, et inspira aux princes et aux sujets, des actions
louables.
De toutes les causes qui troublèrent la Palestine et 1 Égypte,
aucune n’eut plus d’influence que les entreprises des Européens
contre ces provinces. Ces expéditions fameuses, qui agitèrent
durant deux siècles toutes les nations de 1 Occident, n eurent aucun
des résultats que l’on avoit désirés, et elles occasionnèrent de
longs desordres : mais en même temps elles excitèrent le génie
du commerce, agrandirent les vues, multiplièrent les procédés
de 1 industrie et de la navigation. Elles amenèrent dans plusieurs
Etats la chute du gouvernement féodal, eh favorisant le pouvoir du
monarque et la liberté civile; ét elles élevèrent l’autorité politique
de Rome jusqu a un degré où elle ne put se soutenir.
Cent mille croisés s’emparèrent inutilement de Damiette : s’étant
mis en marche dans une saison peu favorable, ils furent arrêtés par
les Musulmans entre les canaux dérivés du Nil; réduits à capituler,
ils abandonnèrent leur conquête. Trente ans après, les mêmes
fautes amenèrent les memes résultats et de plus grands malheurs.
Louis IX , 9 honneur de son siècle, qui exerça sur ses sujets , et sur
ses ennemis même, l’autorité naturelle que donnent de grandes ver-
tus, conduisit soixante mille guerriers sur les bords du Nil. II avoit
traverse la Méditerranée avec dix-huit cents bâtimens, et commam
doit a Ielite de la France. Maître de Damiette, il s’avança longtemps
après dans I intérieur du Delta. Les Mamlouks l’assiégèrent
dans son camp, où se développèrent des maladies funestes, et ils
interceptèrent ses communications avec les côtes. Le Roi, ayant
perdu tout espoir, ordonna la retraite, et ne put I effectuer. Le reste
des Français alioit périr les armes à la main, lorsqu’au milieu du
carnage un héraut annonça, soit de lui-même, soit qu’il en eût reçu
I ordre, qu on ne pouvoit plus sauver la vie du Roi, qu’en se rendant
prisonnier. Çe prince, qui ne voulut point quitter l’arrière-
garde, tomba lui-même au pouvoir de l’ennemi, et l’on sait par