A R T I C L E S E C O N D .
RAPPORTS DES TRILOBITES AVEC LES ANIMAUX CONNUS.
Je viens de décrire, d’une manière absolue, les différentes espèces de
la famille des Trilobites, sans chercher à rapprocher ces animaux d’aucun
des êtres qui vivent actuellement à la surface du globe.
En effet, pour l’objet principal des géologues, qui est la distinction
précise des débris organiques qu’on peut faire servir à caractériser les différentes
couches de la terre, il suffit de bien décrire les restes de l’ancien
monde et de leur assigner des noms simples. L a considération des êtres
vivans auxquels ils peuvent se rapporter est particulièrement du domaine
de la zoologie et étend beaucoup ce domaine ; cependant cette
considération a , comme on n’en doute plus maintenant, des liaisons si
intimes avec la géologie, que nous devons y avoir égard quand il est
en notre pouvoir de le faire ; je vais donc essayer de déterminer à quelle
classe et même à quel ordre du régné animal les Trilobites peuvent être
rapportés.
Les naturalistes ont eu sur ce sujet des opinions extrêmement variées :
les uns ( J . G . L e h m a n n , K l e i n , L ü y d , W o l t e r sd o r f ) ont regardé les
Trilobites comme des coquilles à trois lobes; cette idée a été la première
émise et la première entièrement abandonnée; les autres ( M. S ch lo -
t h e im ) ( i ) , les ont rapportés aux oscabrions ( chiton ) , et celte opinion
a encore quelques partisans. W alch dit que l’analogue vivant des Trilobites
est inconnu ; mais que l’animal dont il se rapproche le plus est 1 os-
cabrion des Islandais, qui est notre Cymothoa y d autres, les ont pris
pour des larves; le plus grand nombre les ont considères comme des inr
sectes ou des crustacés. M. L a t r e i l l e avait d abord regarde cesammaux
comme voisins des insectes et comme pouvant remplir assez bien le
vide qui sépare les myriapodes des crustacés (2); mais, abandonnant cette
idée, il est revenu à l’opinion qui tend à rapprocher les Trilobites des
(1) Taschenbuchfur die gesammte, etc., par Léoshjrb, vol. 4 , 1810, p. 1. 11 convient ce.
pendant qu’il en diffère en plusieurs points. (o) Le Règne animal, etc., par M. Cuvier : t. ni, par M. Latreille, 1817, p. i.5imollusques,
et notamment des phyllidies et des oscabrions (1) : quelques
uns, parmi lesquels on compte L in n é , Mortimer, W il e e n s ,
Brünnich et B lumenbach les ont rapprochés des insectes aptères (2 ), et
spécialement des crustacés (3) nommés apus, limules, branchipes.
M. W ahlenberg a principalement insisté sur la ressemblance de ce
dernier crustacé avec les Trilobites. Il- suppose que les pattes et les
mâchoires étaient, comme dans ces animaux , placées sous le bouclier.
L a forme générale du corps des Trilobites, sa division constante en
une tête confondue avec le corselet, en un abdomen et en une queue
ou post-abdomen, la position sessile des yeux, les rugosités et les tubercules
de la peau et surtout la division du corps en un grand nombre
d’articulations transversales, enfin jusqu’à l’habitude de se contracter.en
boules, qui est particulière aux Calymènes, offre une réunion de caractères
qui ne conviennent qu’aux crustacés de l’ordre des Gymnobran-
ches, tels que les ligies, les sphéromes, les cymothoa, etc., et qui, à
l’exception du dernier (celui de se contracter en boules), ne laissent
aucune analogie réelle entre les Trilobites et les oscabrions.
Mais deux ordres de caractères fort remarquables semblent éloigner
les Trilobites de ces crustacés, sans pour cela les rapprocher des osca-
( 1) Voyez son mémoire dans les Mémoires du Muséum d’hist. nat., 1820, t. 7, p........
Toutes les considérations qui peuvent fcire rapprocher les Trilobites des oscabrions, sont
réunies dans ce mémoire, et présentées avec la valeur que devait y donner un naturalisté
aussi habile que M. Latreille, et d’une aussi puissante autorité lorsqu’il s’agit des animaux
articulés. C’est donc avec une sorte de crainte que j’ose dire que je ne partage pas
encore son avis 5 je n’auràis peut-être pas hésité à l’adopter, si d’une part mon opinion n’était
appuyée par celle d’un grand nombre de naturalistes, et si de l’autre je n’avais eu l’avantage
d’ examiner beaucoup d’échantillons de Trilobites appartenant aux différens genres que j ’ai
établis.
Je ne me permettrai pas néanmoins de combattre l’opinion de M. Latreille ; je me contenterai d’exposer
mes observations et d’ en déduire les conséquences qui me paraissent devoir en résulter ;
j’insisterai seulement un peu plus que je l’avais fait en 18 1 5 , sur les caractères qui me semblent propres
à fortifier l’opinion de Linné , de Brünnich, de Wahlenberg, dont la mienne n’est que
l’extension et l’application plus spéciale.
(2) Blumenbach Abbildungen, 5e part.
(3) Guettard,'Mém. de l’Acad. roy. des Sciences, 1757-, p. 5a , en parlant des empreintes
des ardoisières d’Angers, les compare à des crabes •, mais on ne peut lui savoir aucun gré de
ce rapprochement, car la manière dont il les a fait dessiner permet d’y voir tout ce que
Ion veutj aussi n’a-t-il pas omis les pattes antérieures, en forme de pinces, de ces crustacés,
etc.