Ce livre a reçu le nom d’ E s t h e r , parce qu’il contient l’iiistoire de cette
jeune et illustre Juive. Les neuf premiers chapitres, écrits en hébreu, qui ont été
insérés dans le canon des Juifs, en contiennent le récit ; et les sept derniers ne sout
composés que de differentes pièces qui y sont citées, et de quelques circonstances qui
peuvent servir à l’éclaircissement des faits qui y sont rapportés , qu’un Juif Helléniste
, c’est-à-dire Grec, a cru y devoir ajouter après coup. S. Jérôme les a traduits ,
et les a insérés dans notre Vulgate. Origèoe, dans sa lettre à Africanus , prétend
que les derniers chapitres étoient originairement écrits aussi en hébreu; mais, dans
l'état où ils sont aujourd’hui, ils paraissent de la façon de quelque Juif Helléniste
d’Alexandrie, qui vivoit sous un des Ptolomées, comme on voit par ce qui est dit
chap. 1 1 , v. 1 j et ce qui suit au v. 2 prouve évidemment que ce sont autant d’actes
séparés, qui n’ont aucune liaison avec le corps de l’histoire. Le style même de ces
pièces est fort different de celui des premiers chapitres ; il est beaucoup plus affecté
et étudié 3 et les dates, aussi bien que les faits, ne sont pas toujours d’accord avec
ceux des premiers chapitres.
On croit que Mardochée est l’auteur de ce livre, ou au moins des neuf premiers
chapitres ; et cela paraît en quelque sorte prouvé par ce qui est dit chap. 9 , v. 20, et
chap. 12 , v. 4 , que Mardochée écrivit ce qui étoit arrivé, afin d’en informer les
Juifs. Cependant ces autorités n’ont point empêché que plusieurs des Pères de l’Eglise,
comme S. Augustin, S. Epiphane et S. Isidore, ne l’aient attribué à Esdras, d’autres
à Joachim grand-prêtre, petit-fils de Josédec. En effet, ces deux endroits disent à
la vérité que Mardochée fit aux Juifs le récit sommaire de leur délivrance, en les
exhortant par des lettres circulaires à fêter avec solennité le quatorze et le quinze du
mois Adar j mais il n’est point dit qu’ il ait écrit ce livre : au contraire , il est visible
dans les deux endroits mêmes, que celui qui a écrit ces lettres n’est pas celui qui
dit ici que Mardochée les a écrites. C’est donc, à ce que l’on croit, quelque Juif
qui, par ordre du Sanhédrin, a écrit cette histoire pour instruire les autres des rai-,
sons de l’établissement de la nouvelle fête appelée Pburim, c’est-à-dire, des Sorts.
(V o y e z chap. 9 , v. 2 6 . )
Si l’auteur de ce livre est en quelque sorte inconnu, le temps auquel cette histoire
est arrivée ne l’est pas moins : car la difficulté où l’on se trouve de pouvoir décider
certainement quel est ce prince nommé également Assuérus et Artaxercès, chap. r ,
v. 1 , chap. 1 3, v. 13 qui régna depuis les Indes jusqu’à l’Ethiopie sur 12 7 provinces ;
qui avoit mis le siège de son empire dans la ville de Suze, chap. 1 , v. 1 et 2 5 qui
régnoit en même temps sur les Perses et sur les Mèdes, ibid. v. 3 3 dont le règne
-fut au moins de douze aus, chap. 3, v. 7 ; qui se rendit tributaires toutes les îles de
la mer, chap. 10 , v. 13 qui avoit-soumis toute la terre à sou empire , chap. i 3 ,
v. 2 ; qui reconnoît que c’est de Dieu et de sa grâce que ses pères et lui tiennent
ce grand royaume, chap. 16 , v. 165 qui en la troisième année de son règne fit un
maguifique festin qui dura 180 jours, chap. 1 , v. 4 ; et qui régna après la captivité
Je Jéchonias, arrivée sous le règne de Nabuchodonosor, chap. 2 , v , 6 : toutes ces
eirconstances qui devraient aider à faire distinguer ce prince d’avec tant d’autres, ne
laissent pas encore de faire naître des doutes et des difficultés. i ° . Parce que le nom
d Assuérus ne désigne aucun prince en particulier, non plus que celui d’Artaxercés,
et que ces deux noms étoient communs, le premier aux rois des Mèdes, et le dernier
aux roisdes Perses. 20. Parce qu’il faut nécessairement que tout ce qu’on a rapporté
ci-dessus puisse convenir à celui à qui on attribue ces noms, -et sur-tout qu’ il
ait régné au moins plus de deux ans, et que son règne soit postérieur à l’enlèvement
général des Juifs par Nabuchodonosor, sous Joachim ou Jéchonias, l’an du monde
840 J . Faits particuliers qui fixent l’époque de cette histoire 5 et c’est sur quoi les
savans se trouvent partagés, ensoite qu’il n’y a point eu de rois depuis Astyage jusqu
à Artaxercès Mnémou, à qui quelqu’un d’eux in’ait attribué cette histoire. Plusieurs
prétendent que l’Assuérus d’Esther est Cyaxare, appelé Darius Médus, oncle
de Cyrus, ouGambyse, fils de Cyrus, appelé Assuérus liv. 1 d’Esdras, cb. 4 , v. 6.
«Josephe croit que c’est Artaxercès Longuemain, d’autant que le même Assuérus est
appelé ainsi dans le livre d’Esther / chap. 1 2 , v. 2 , et chap. 1 6 , v. 1. ( Voyez
Jiv. xj Aatiq. chap. 6. ) D’autres soutiennent que c’est le fameux Xercès roi de
Perse, ou enfin Ochus, surnommé Darius-Notbus, fils d’Artàxercès Longuemain.
Mais certainement ce ne peut être ni Cyrus, ni Cyaxare, dit Darius Médus son
oncle, puisque tous deux ont régné avant la captivité de Jéchonias 3 ni Cambyse
fils de Cyrus, puisqu’il ne régna que huit ans 5 que Darius Médus n’a point été roi
de Perse, mais des Mèdes et des Cbaldéens 5 que son empire ne s’est point étendu
depuis les Indes jusqu’à l’Ethiopie3 que Cyrus même, qui unit en sa personne l’empire
des Perses et des Mèdes, ne régna que sept aus depuis la mort de Darius Médus
Son oncle. Ce ne peut pas être non plus Xercès, père d’Artaxercès Longuemain ,
quoique son nom ait quelque rapport avec celui d’Assuérus 5 car Amestris sa femme,
fille d’un Persan, ne peut être la reine Esther, femme juive et captive, outre que
Xercès n’a jamais régné dans Suze , mais en Grèce, et que son règne n’a duré que
sept ans.