Ce livre porte le nom de J u d ith, parce qu’il contient l’histoire et qu’il décrit
comment cette illustre Juive, protégée du secours du véritable Dieu qu’elle avoit
toujours servi très-fidèlement, sut délivrer non-seulement la ville de Bétbulie où elle
demeuroit, mais encore tonte sa patrie, de la cruelle oppression sous laquelle Holo-
ferne, chef de l’armée de Nabuchodonosor, roi d’Assyrie, latenoit asservie.
On ne sait point qui est l’auteur de cette histoire 3 quelques-uns l’attribuent au
grand-prêtre Joachim ou Eliacim, dont il est parlé chap. 4 , v. S 5 d’autres la donuent
à Josué, fils de Josédec, qui revint de Babylone avec Zorobabel, 1 Esdr. ch. 2 , v. 2,
et ch. 3 ,7 . 2 ; mais tous sans aucune preuve : et ce que l’on en peut dire de vraisemblable
, c’est qu’il est d’un auteur qui a vécu après la captivité , puisqu’il a été
écrit en chaldéen, et que c’est sur un exemplaire semblable , qui ne subsiste plus,
que S. Jérôme le traduisit en latin , comme il l’assure à la tête de sa traduction
qui fait partie de notre Vulgate. Il avoit été traduit auparavant en grec par les
Septante, et non pas simplement par Théodotion, comme quelques-uns le prétendent,
puisque cette histoire de Judith est citee par S. Clement romain , par
l’alexandrin, et par plusieurs autres.
Le temps auquel cette histoire s’est passée est aussi fort incertain ; et c’est cette
incertitude qui a déterminé quelques habiles protestans, comme Scaliger et Grotius,
à supposer gratuitement que le livre de Judith ne renfermoit qu’une simple parabole,
qui avoit été composée pour consoler les Juifs dans le temps qu Antiochus Epiphane
ou l’illustre vint en Judée, avant que le temple eût été profané par les idoles qu on
y mit depuis 5 mais c’est vouloir sortir d’embarras par des difficultés encore plus
grandes, et par des suppositions absolument chimériques.
La difficulté de fixer l’époque de cette histoire, vient de l’incertitude où 1 on est
d’accorder quelques-unes de ses circonstances avec celles des livres des Rois, et certains
faits de l’histoire profane d’Hérodote touchant la succession des rois des Perses
et des Mèdes.
Voici les circonstances de ce livre sur lesquelles on doit se fonder pour se déterminer
absolument sur l’époque de cette histoire. Chap. 1 ,v . 1 , il est dit, Qu’Ar-
phaxad, roi des Mèdes, bâtit Ecbatane. Au v. S suivant, Que Nabuchodonosor, roi
d’Assyrie, qui demeuroit à Ninive, attaqua Arphaxad et le défit : chap. 2 , v. 1 ,
Que ce prince, la treizième année de son règne, entreprit de conquérir la Ciliôie,
Damas, la Palestine, et les provinces voisines : chap. 4» 3 > » 7 > , Que
les Juifs alors étoient en pleine liberté, et avoient le libre exercice de leur religion
sous la conduite de leur grand-prêtre : chap. 4 , v. 2 et 9 , Qu’ils avoient un temple
dans Jérusalem où ils offraient à Dieu leurs sacrifices : chap. J , v. 22 et 23, Qu il
y avoit plusieurs années qu’ils avoient ete disperses et emmenes en captivité, qu ils
en étoient enfin revenus : chap. 8 , v. 7 » Que Judith alors etoit une belle et agréable
veuve J chap. 1 6 , v. 2 8 , qui ensuite mourut âgée de cent cinq ans : ibid. v. 3o , et
Que le peuple d’ Israël demeura en paix tout le temps de sa vie, et même encore
plusieurs années après sa mort.
Ce sont ces circonstances qui ont partagé les sentimens des savans. Les uns
soutiennent quelles conviennent au temps qui précéda la captivité générale du peuple
Juif 5 d’autres au contraire prétendent que tout ce qui est ici rapporté ne sauroit
convenir qu’au temps qui a suivi cette captivité génerale, et que cette histoire s est
passée sous le règne des Perses, après que le peuple d’ Israël fut revenu de Baby-
lone J mais ce dernier sentiment, n’est pas celui qui s’accorde le mieux avec les
circonstances rapportées , et c’est ce qu’il est à propos d’examiuer.
i° . Il est certain qu’Ecbatane a été bâtie par Dèjocès, roi des Mèdes , comme
le rapporte Hérodote, et que ce prince commença à régner l’an 4004 de la période
Julienne 5 qu’il bâtit cette ville l ’an 4006 de la même période Julienne, la
première année de la dix-huitième olympiade, comme le remarque le texte grec de
la Chronique d’Eusèbe 3 ce qui oblige nécessairement de conclure que l’Arpbaxad
de Judith est le même que Déjocès ou Phraortès son fils , dont le nom convient
assez à celui d’A rphaxad.
20. Il est dit que Nabuchodonosor demeuroit dans Ninive, et que la douzième
année de son règne il défit Arpbaxad , roi des Mèdes 5 et Hérodote rapporte que
Déjoeès, roi des Mèdes, mourut la douzième année de Jaosduchin, et que Phraortès
son fils qui lui succéda, fut tué par les Assyriens : ce qui convient parfaitement
au temps du règne de Jaosduchin, fils d’Assaradon , petit-fils de Sennachérib , qui
étant roi de Ninive s’empara de Babylone , et reçut sans doute le surnom de Nabuchodonosor
, nom qui étoit alors commun aux rois de cette ville. Or tout ceci
par rappoit à l’Ecriture ne se peut placer que sous le règne de Manassès , qui commença
à régner l ’an 4016 de la période Julienne, et du monde l’an 33o 6, et qui fut
fait prisonnier vingt ans après, l’an 4037 de la période Julienne,et du monde 3327.
Ce qui en effet s’accorde avec toutes les autres circonstances de cette histoire, avec
l’état florissant de Ninive, la paix dont jouissoient les Israélites , le libre exercice
de leur religion dans leur temple de Jérusalem , et le retour de leur première captivité.
Ce qui nous détermine à conclure que cette histoire est arrivée la trente