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aujourd'hui ponr ces rudes climats aussi bénigne comme elle auroit dû l'ctre à des époques
amérieures, quels furent les agens capables de la détruire? Supposant, d'un autre
côté, que les animaux dont on voit les nombreuses dépouilles dispersées jusqu'aux poles,
aient vécu dans les environs de l'équateur, quel moyen assez puissant en a transporté
les cadavres à des distances aussi prodigieuses du sol natal ?
Comment expliquer cette diversité constante qui distingue les espèces fossiles d'avec
les races analogues qui subsistent de nos jours? Dans quels tems et par quelles révolutions
ces antiques espèces d'animaux furent-elles exterminées, au point qu'il ne resta pas
deux individus pour en perpétuer la souche ? A ces questions on pourroit en ajouter
beaucoup d'autres, également embarrassantes, que les plus grands génies ont en vain
tâché de résoudre, comme si les difficultés du problème surpassoient les bornes de notre
entendement.
La supposition d'un printems perpétuel, dont le monde auroit joui durant les premiers
âges de sa formation, hasardée par les anciens, adoptée par quelques modernes,
n'a pu tenir contre les objections des astronomes. Elle s'appuyoit trop foiblement sur
une prétendue coïncidence de l'écliptique avec l'équateur qui, une fois établie , n'auroit
pu être altérée dans la suite par aucune raison naturelle. Eulcr a démontré, en
effet, queTécliptique, en déclinant vers les poles, ne peut jamais atteindre à neuf degrés
i d'autres astronomes, qui ont soumis la théorie d'Euler à de nouveaux calculs, ont
prouvé que la différence dans l'obliquité de l'écliptique , relativement à l'équateur, ne
pouvoit excéder les limites de trois degrés (i). Le refroidissement du globe par la diminution
successive de sa chaleur centrale, proposé par Buffon, n'a pu obtenir l'aveu des
physiciens, parce qu'il n'est basé sur aucune preuve solide.
L'effet de la perturbation collective de toutes les planètes, aussi insuffisant que l'opinion
d'un refroidissement successif de la terre, a fait recourir à d'autres agens pour
rendre raison des grands changemens survenus au globe. A ces causes lentes et successives
on a substitué l'influence d'autres corps célestes, qui, se mouvant dans des courbes
moins régulières, à cause de la grande excentricité de leurs orbites, s'npprochont quelquefois
de la trajectoire des planètes. Le grand nombre dos comètes, leur mouvement
dirigé vers toutes les plages du ciel, leurs noeuds qui coupent l'écliptique dans tous les
sens, ne pouvoient qu'attirer l'attention des physiciens. Whiston profita de cette idée ,
pour attribuer la cause du déluge universel à la rencontre d'une comète avec la planète
que nous habitons (a). Pingré réfuta ses argumens, quant à l'époque, mais il a cru cette
rencontre physiquement possible (3).
Les Gregori, les iMaupertuis, les Lalande ne doutoient pas de la coïncidence des
comètes avec les planètes dans quelque point de leurs orbites. M. du Séjour admettoit
leur influence dans les périgées (4). Le célèbre Bode, en publiant une table des élémens
des soixante-douze comètes bien connues, a remarque que sur les cent quarante-quatre
nii'uds, il y en a trente-deux qui passent entre Mars et la Terre, dix-neuf entre cclle-oi
et Vénus, deux enfin dont les trajectoires coïncident presque avec l'orbite de notre planète
(5). I! est d'ailleurs à présumer que les élémens de plusieurs comètes no >:ont pas
connus, et que la perturbation, causée par l'attraction des corps célestes d'autres systèmes
, doit singulièrement influer à faire changer leurs directions.
(1) l'aiiw, R'i!ien-/iea philosophUjan tur Us Américaim, loin. 1, ¡)ag. 3l5. Beiliii 1768.
(3)Bi.fron. m,toire naturelU, loin. I.pag. 168.
(3) Comelographie, torn. II. cliap. i , pag. i65 cl 166.
(4) Ihid-,pttg. 177 W.sulvanirs.
(5) Gotting. Anzeige, du 21 avril 1792.
D ' U N É L É P H A N T M A L E . -3i
Quoiqu'il en soit de la probabilité de ces difiërentes hypothèses, on ne sauroit douter
que notre globe n'ait souffert des convulsions terribles et répétées à diverses époques.
Comparons, avec Forster(i), la forme et l'étendue des continens vers les poles opposés;
considérons l'empire des mers beaucoup plus étendu vers le pole austral qu'à celui de
l'Ourse ; faisons attention à la forme épointée des caps, à la direction des golfes, à la situation
des grandes îles relativement aux continens voisins; mesurons la hauteur des
montagnes qui dominent sur les mers du pole antarctique, leurs flancs escarpés, souvent
inaccessibles, qui terminent au Midi les vastes continens de l'Asie, de l'Afrique
et de l'Amérique; mettons-leur en opposition les plaines immenses du nord de l'Asie, la
douce obliquité du rivage de la mer Glaciale. Jlemaïqiions ensuite que ces déserts arides,
d'un sable toujours mouvant, s'étendent au nord et au nord-est des hautes chaînes qui
traversent les continens; que les flancs méridionaux et occidentaux de ces montagnes
sont déchirés, à demi-ruinés et presque nus : alors on aura des preuves irrécusables que
la cause étrangère qui a ravagé la surface du globe, a suivi la direction du sud-sud-ouest
vers les parties nord-nord-est du globe.
Ces vues générales ont été confirmées par les observations particulières des voyageurs
sur les montagnes du Hartz, de la Saxe, les monts Carpathes, l'Altaï, le Caucase et
rimaus (a). Les plaines distribuées au nord de ces grandes chaînes sont d'une formation
postérieure, et composées d'un amas de terres, mélangé de débris d'une infinité de
corps organisés des deux règnes, tantôt confusément entassés et quelquefois disposés par
couches. On ne sauroit donc douter que les eaux du pole austral, agitées par de puissantes
causes surnaturelles, n'aient rongé les côtes méridionales des continens; qu'amoncelées
de proche en proche au niveau des plus hautes cimes de l'équateur, elles n'aient
miné la base et les flancs des montagnes opposées à leur fureur ; qu'arrachant du sol les
végétaux qui ornoient la terre, détruisant les troupeaux immenses d'animaux qui multiplioient
sous ces heureux climats, creusant le terreau à de vastes profondeurs, emportant
le sable et des fragmens de rochers, elles n'aient charrié ces végctaus déracinés,
ces cadavres noyés, ces couches de limon, d'argile et de sable, des hautes et fertiles
contrées du Midi vers les régions froides et basses du Septentrion.
En adoptant cette opinion, que Pallas, dans ses fameux voyages, a présentée comme
la plus natui-elle (3), que Renovantz (4) a appuyée de nouvelles preuves, que les plus
grands navigateurs, Cook et Forster, ont mis en évidence, il sera facile d'expliquer
pourquoi nous trouvons ces immenses dépôts de végétaux, et ce nombre si considérable
de squelettes d'animaux de la zone torride , dispersés sous des latitudes voisines du pole
boréal. Les déluges qui ont entraîné les lions, les ours, les tigres et les ruminans de
l'Afrique, les éléphans, les rhinocéros, les bullies et les crocodiles de l'Inde, déposèrent
leurs cadavres en Espagne, en Allemagne, jusque vers les bords de la mer Glaciale et
le cercle polaire.
Cette catastrophe doit avoir été générale par tout le globe, au point que les végétaux
et les animaux périrent tous à la même époque; et s'il subsiste aujourd'hui quelques
plantes et quelques espèces d'animaux conformes en tout à celles dont nous trouvons les
débris, il n'est pas aisé à déterminer si ce sont encore les rejetions d'antiques races dont
les aïeux semblent avoir échappé à la ruine de leurs semblables, ou si la nature, occupée
(1) J. 11. Förster, Beabachtungen und fl'ahrheileit, etc. die einen hohen grad von ivahrscheinlichkeil erhalten
haben als stof zur entwerfung einer 'Theorie der Hi-de. Leipzig 1738.
(a) Ibid., pag. iS.
(5) Voycz snr-toiit sti Obiervations aurla furmation des nionlognes, etc., pag. 71 et 72.
(4) Mineral, geogr. Nachrichten von den Altdisachen gebiirgen. In-i., pag. 77.