
D E S C R I P T I O N A N A T O M I Q UE
C H A P I T R E II.
Du caractère des différentes espèces d'éUphans.
O N peat compter parmi les grands avantages que le siècle précédent a procuré à l'histoire
naturelle, cette union plus intime qu'elle a contractée avec la physique. Franchissant
, à son aide, les bornes qui en faisoient une science de nomenclature plutôt que de
raisonnement, elle a cherché l'explication des phénomènes dans la comparaison des organes
, et l'étude qui en est résultée embrasse tous les objets de la nature vivante. Aussi
l'anatomie n'est plus une espèce de géographie, seulement utile au médecin et au chirurgien
; de nombreuses observations sur la structure des animaux l'ont portée à un degré
de perfection dont on ne peut que s'étonner.
L'histoire naturelle de l'homme a profité de ces lumières pour établir de bonnes distinctions
entre les nuances qui caractérisent sa nombreuse espèce, et la classification des
animaux de tous les genres s'appuie désormais sur des bases, dont la solidité s'accroît de
jour en jour.
Mais l'histoire des grands quadrupèdes, étrangers à nos climats, avoit sur-tout besoin
d'une révision particulière, et d'une comparaison judicieuse de toutes les observations
des anciens avec celles des modernes. On n'avoit proprement sur ces colosses animés que
des'notions fort incomplète.s le mécanisme de leurs organes, et la distinction des espèces
restoient dans une profonde obscurité.
L'anatomie comparée pouvoit seule lever ce voile ; c'est à elle qu'il étoit réservé de
présenter, dans un cadre , le tableau des differences qui distinguent les espèces vivantes
d'un même genre, ainsi que leurs rapports avec les branches éteintes des souches primitives,
dont il ne reste plus que les débris fossiles. Le défaut de connoissances faisoit envisager
les premières comme descendantes d'une famille identique. On avoit méconnu
les autres comme étrangères à tous égards. M. Camper est le premier des anatomistes
modernes qui observa les différences caractéristiques dans le genre de l'éléphant. Il en
fit part à tous les savans avec lesquels ils se trouvoit en commerce do lettres, comme
aux curieux qui s'intéressoient aux progrès de l'histoire naturelle ; le célèbre Cuvier ( i)
a ajouté aux découvertes que nous allons indiquer, des observations aussi neuves que brillantes
dont il sera question dans la suite.
Les anciens, en effet, ne s'arrêtèrent qu'à la comparaison de la taille, à la distinction
de la couleur, ainsi qu'aux moeurs des éléphans; ceux même qui observèrent ces animaux
sur les lieux manquoient de lumières pour tirer parti des avantages de leur position; aussi
ne pouvoient-ils se douter que du fruit de pareilles recherches résulteroit un système de
connoissances aussi important pour la zoologie que po\ir l'histoire physique de la terre.
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Nous avons déjà remarqué ci-devant, que les éléphans des deux parties du monde se
ressemblent par la taille, et que les anciens, ayant fréquenté seulement la côte occidentale
de l'Afrique, s'étoient trompés en donnant la préférence à ceux de l'Inde et de Ceilau.
La couleur ne sauroit non plus être comptée pour un caractère spécifique, quoique
celle des éléphans d'Afrique semble constamment plus foncée que celle des éléphans
d'Asie. On observe d'ailleurs les mêmes habitudes, la même docilité dans les espèces
des deux continens; et si l'on a cru que ceux de l'Inde sont moins féroces, ou qu'ils se
laissent employer avec plus de facilité à toutes sortes de travaux, il faut en chercher la
cause dans la civilisation des peuples de l'Orient, opposée à l'ignorance et à i a barbarie
des liabitans de l'Afrique. Pendant quo ces premiers, depuis une longue suite de siècles,
ont réduit les éléphans à l'état de domesticité , les autres n'en font la chasse que pour se
nourrir de leur chair ou pour en vendre les défenses.'
Tous les éléphans cependant ne sont pas armés de ces longues dents, dont on fait depuis
deux mille ans un objet de luxe et de commerce. Il y a des contrées où les voyageurs
attestent que les mâles seuls en sont doués ; d'autres, sans faire mention du sexe , prétendent
qu'il n'y a qu'un dixième auxquels ces dents poussent au point d'en faire rechercher
l'acquisition à des prix excessifs.
Wolfs, par exemple, dont l'autorité doit avoir du poids, à cause de son long séjour
dans l'île de Ceilan , distingue les éléphans en trois classes pour la qualité des dents. La
première est celle des mâles, dont les défenses sont, en général, très-considérables. La
seconde, qu'il nomme ma/anr's, en terme du p a y s , quoique mâles, n'en ont jamais que
de petites. Les femelles sont rangées dans la dernière, pour n'en pas avoir du tout(i).
Cette observation , n'étant pas infirmée par le témoignage de M. Blcs ( a ) , qui a resté
long-tems au même endroit, gagne en crédit à l'inspection de deux têtes d'éléphans
que je conserve dans ma collection. L'une et l'autre amenées de Ceilan, appartenoienC
à des individus adultes, et néanmoins les dents en sont si petites, qu'elles ont à peine diî
être visibles à l'extérieur de la bouche; mais quand on ignore leur sexe, il n'est pas facile
de déterminer s'il faut les ranger dans la seconde ou dans la troisième classe de Wolfs,
La forme de la tête, ainsi que les proportions de la mâchoire supérieure, doivent varier
considérablement en longueur comme en largeur , à mesure que les éléphans sont
pourvus, ou bien privés, de ces énoi-raes dents, puisque leur seul poids exige, pour
l'insertion, des alvéoles très-profonds et d'un grand diamètre ; cette nécessité redouble
encore, quand on réfléchit à la résistance que les alvéoles doivent opposer lorsque ces
dents, longues de huit ou neuf pieds, servent de leviers pour renverser des arbres ou
d'autres obstacles très-puissans.
La différence prodigieuse dans la longueur des dents, constamment observée dans les
éléphans de Ceilan , ne s'étend pas aussi généralement à l'espèce d'Afrique; au moins
les auteurs n'en parlent pas. Levaillant (5), au contraire, l'un des voyageurs qui s'est
occupé nouvellement de la chasse de ces animaux près du Cap de Bonne-Espérance,
asstu-c que les jeunes femelles portoient des défenses du poids de treize à quinze livres.
L'éléphant du Congo, disséqué par le célèbre Perrault, avoit les dents longues de deux
pieds (4.). Il paroît, d'après cela, que les éléphans d'Afrique, dans les deux sexes, sont
(.) Mém. tr lea eijiices d'cUp/uiru vivantes elJbssiUi, iinr le c ilo jeu Cuvier, lu à l'Iuililulnfiliuual, le i".
(1) Heise nach ZeUan, pag. 106.
(i) HuiTon, su|.pIiinoi..s torn. VI, pag. 28.
(3) Premier voyage iLii
do poeiilup , comme <Viiii
(•*) Mi-moires^¡oiir sen
rintérieur de l'Afrique, paj
=liosc> iiitinimnitrav-o, dans
• d l'histoire naturelle des
.57. Maiiil est «lucstion d'clcphaiis¿denles, sous 1
Il Second vovage en ^Jfrique, torn. II, pug. 2S.
pog. 5ii.
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