prime en même temps la production du bois ; car
fi l’on fait cette opération dans le temps que le
cerf a mis bas fa tête, il n’en forme pas une
nouvelle ; & fi on ne la fait au contraire que
dans le temps qu’il a refait fa tête , elle ne
tombe plus , & l’animal refte pour toute la vie
dans l’état où il étoit lorfqu’il a fubi la caftra-*
tion , & quoiqu’il ne laiffe pas de devenir grès,
jamais la gorge ni le cou ne lui enflent, fa graille
ne s’exalte ni ne s’échauffe pas comme la venaifon
des cerfs entiers , & fa chair fe conferve fraîche
8c peut fe manger dans tous les temps.
Une autre preuve que la production du bois
vient uniquement de la furbondance de la nourriture
, c’elt la différence qui fe trouve entre les
têtes des cerfs de même âge, dont les unes font
très-groffes, très - fournies , & les autres grêles &
menues, ce qui dépend abfolument de la quantité
de la nourriture ; car un cerf qui habite un
pays abondant, où il viande à fon aile, où il n’elt
troublé ni par les chiens ni par les hommes ,
aura toujours la tête belle , haute, bien ouverte ;
l’empaumure ( racine du bois ) large & bien garnie ;
le rnérain { tige du bois ) gros 8c bien perlé, avec
grand nombre d’andouillers. ( branches que jette
le bois ) forts 8c longs, au lieu que celui qui fe
trouve dans un pays où il n’a ni repos ni nourriture
fuflifante , n’aura qu’une tête mal nourrie,
dont l’empaumure fera ferrée, le rnérain grêle &
les andouillers menus 8c en petit nombre , en-
forte qu’il eft toujours ailé de juger par la tête
d’un cerf, s’il habite un pays ' abondant 8c tranquille
, & s’il a été bien ou mal nourri. Ceux qui
fe portent mal , qui ont été blelfés ou qui ont
feulement été inquiétés 8c courus, prennent rarement
une belle tête 8c une bonne venaifon , ils
n’entrent en rut que plus tard, il leur a fallu plus
de temps pour refaire leur tête , & ils ne la mettent
bas qu’après les autres. La difette retarde
donc l’accroiffement du bois 8c en diminue le
volume très - confidérablement ; peut - être même
ne feroit-il pas impoffible, en retranchant beaucoup
la nourriture, de fupprimer en entier cette
production , fans avoir recours à la caftration ;
ce qu’il y a de sûr, c’eft que les cerfs coupés , &
les femelles qui font dépourvues de bois, mangent
moins que les cerfs entiers.
TI.p bois du cerf efl: d’une fubftance très-différente
de celle des cornes 8c des défenfes des
autres animaux ; il eft folide dans toute fon épaif-
feur, & croît par fon extrémité fupérieure, comme
les herbes , les arbres 8c tous les autres végétaux :
aufli ce bois eft-il une production vraiment végétale
, & il reffemble au bois des arbres par la manière
dont il croît, dont il fe développe, fe ramifie,
fe durcit , fe sèche èc fe fépare ; car il tombe
de lui-même après avoir pris fon entière folidité ,
& dès qu’il celfe de tirer de la nourriture, comme
un fruit dont le pédicule fe détache de la branche
dans le temps de fa maturité ; il eft d’abord tejidre
comme l’herbe , 8c ■ fe durcit enfiiite comme îé
bois; la peau qui s’étend & qui croît avec lui,
eft fon écorce, & il s’en dépouillé lorfqu’il a pris
fon entier accroiffement ; tant qu’il croît l’extrémité
fupérieure demeure toujours molle ; il fe
divife aufli en plufieurs rameaux ; le rnérain eft
l’arbre , les andouillers en font les branches, en
un mot tout eft femblable, tout eft conforme,
dans l’accroiffement de l’un & de l’autre ; &
comme ce bois du cerf n’eft produit que par la
furabondance de nourriture , fa qualité dépend
aufli de la différente .qualité des nourritures ; il
eft, comme le bois des forêts, grand, tendre ,
8c allez léger dans les pays humides 8c fertiles,
il eft au contraire court, dur & pefant dans les
pays fecs 8c ftériles. Quant à la couleur, elle
femble, comme la couleur du poil,. dépendre
en particulier de l’âge 8c de la nature de l’animal
, 8c en général de l’impreflion de l’air : les
.jeunes cerfs ont le bois plus blanchâtre, &
moins teint que les vieux ; les cerfs d’un pelage
fauve clair Ôc délayé ont fouvent la tête pâle 8c
mal teinte ; ceux d’un fauve v if, l’ont ordinai-
ment rouge ; 8c les bruns, fur-tout ceux qui ont
du poil noir fur le cou , ont aufli la tête noii^. Il
eft vrai qu’à l’intérieur le bois de tous les cerfs
eft à-peù-près également blanc ; mais ces bois
diffèrent beaucoup les uns des autres en folidité,
8c par leur texture plus ou moins ferrée : il y
en a qui font fort fpongieux, 8c où même il fe
trouve des cavités affez grandes ; cette différence
dans la texture fuffit pour qu’ils puiffent fe colorer
différemment, 8c il n’eft pas néceffaire
d’avoir recours à la sève des arbres pour produire
cet effet.
La tête des cerfs va tous les ans en augmentant
en groffeur«& en hauteur depuis la fécondé année
de leur vie jufqu’à la huitième; elle fe foutient
toujours belle, & à-peu-près la même pendant
toute la vigueur de l’âge ; mais lorfqu’ils deviennent
vieux , leur tête décline aufli. Il eft rare
que nos cerfs portent plus de 20 ou 22 'andouillers
, lors même que leur' tête eft la plus belle,
& ce nombre n’eft rien moins que confiant ; car
il arrive fouvent que le même cerf aura dans une
année un certain nombre d’andouillers, 8c que
Tannée füivante il en aura plus on moinsfélon
qu’il aura eu plus ou moins de nourriture ou de repos.
La grandeur 8c la taille de ces animaux varient
aufli beaucoup , félon les lieux qu’ils habitent ;
les cerfs de plaines, de vallées, ou de colines
abondantes en grains ont le corps beaucoup plus
grand 8c les jambes plus hautes que les cerfs des
montagnes sèches, arrides 8c pierreufes ; ceux-ci
ont le corps bas, court & trapu ; ils ne peuvent
courir aufli vîté, mais ils vont plus long-temps
que les premiers, ils font plus médians, ils ont
le poil plus long fur le maffacre , ( front 8c
fommet de la tête , à l’entour du bois ) ; leur tête
eft ordinairement baffe 8c noire ? à-peu-près comme,
un arbre rabougri, dont l’écorce eft rembrunie ;
au lieu que la tête des cerfs de plaine eft haute 8c
d’une couleur claire 8c rougeâtre, comme le bois
& l’écorce des arbres qui croiffent en ben terrein.
Ces petits cerfs trapus n’habitent guèrés les futaies ,
& fe tiennent prefque toujours dans les taillis,
où ils peuvent fe fouftraire plus aifément à la
pourfuite des chiens : leur venaifon eft plus fine
8c leur chair eft de meilleur goût que celle des
cerfs des plaines. Le cerf de Corfe paroît être le
plus petit de tous ces cerfs de montagne; il n’a
gu ères que la moitié de la hauteur des cerfs ordinaires
; il a le pelage brun, le corps trapu 8c les
jambes courtes. Le pelage le plus ordinaire pour
le cerf eft le fauve ; cependant il fe trouve,
même en affez grand nombre, des cerfs bruns &
d’autres-qui font roux ; les cerfs blancs font bien
plus rares , 8c .fèmhlent. être des cerfs devenus
très-antiennement domeftiques.
L’efpèce du cerf renferme, outre le cerf commun
, les cerfs blancs 8c le cerf de Corfe, un grand
nombre d’autres races ou variétés. Il y en a en
Allemagne une race connue dans le pays fous
le npm de brandhirt£ , 8c de nos chaffeurs fous
celui de cerf des Ardennes, Ce cerf eft plus grand
que le cerf commun , & il diffère des autres
cerfs , non-feulement par le pelage qu’il a d’ùne
couleur plus foncée 8c prefque noire , mais encore
par un long poil qu’il porte fur les épaules
8c fous le cou. C’ëft ce cerf que les anciens ont
defigné fous les noms à’hippélaphe 8c de tragélaphe 3
8c que les Naturaliftes ont mal-à-propos confondu
avec l’élan.
En Angleterre 8c en Ecofie on trouvé des cerfs
qui, pendant l’hiver, paroiffent noirs 8c ont le
poil hériffé, & qui font bruns & ont le poil liffe
en été ; ils ne font pas fl bons à manger que les
cerfs ordinaires ; ces cerfs ne font qu’une variété
de célui des Ardennes , 8c ils n’en diffèrent qu’en
. ce qu’ils ont des empaumures larges 8c applaties
à leurs bois, comme les daims, ce que riont
pas les cerfs des Ardennes.
Dans l’Ifle de France, les cerfs font plus -petits
8c ont le poil plus gris que ceux d’Europe , def-
quels néanmoins ils tirent leur origine. On eft
parvenu dans cette ifle à les rendre domeftiques,
8c quelques habitans en ont des troupeaux.
L’efpèce du cerf eft affez généralement répandue.
Il y en a par - tout en Europe, même en Norvège
8c dans tout le Nord , à l’exception peut-être
de la Laponie : on en trouve aufli beaucoup en
Afie , fur-tout en Tartarie, & dans les provinces
feptentrionales de la Chine. On les retrouve en
Amérique avec les mêmes variétés qu’en Europe,
foit pour la grandeur 8c la taille, foit pour la
hauteur du bois, foit pour le nombre & la direction
des andouillers ; car quoiqu’en général ils
aient les andouillers droits, on en trouve néanmoins
qui les ont tournés en arrière par une inflexion
bien marquée : enforte que la pointe de
chaq ue andouiller reg a rd e le rn é ra in , 8c on en
v o i t en co re d’autres qui o n t , a u -d e f fu s de T em -
p aumure , un gran d n om b re d’andouillers en
fo rm e de co u ro n n e ; mais to u t ce la n’em p ê ch e
pas qu’ils ne fo ient de la m êm e e fp è ce que les
autres.
Q u e lq u e rép an d u e que fo it l’e fp è ce du cerf, il
femble cep en d an t qu’elle fo it b o rn é e au x climats
froids & tem p é ré s ; les cerfs du M e x iq u e & des autres
parties de l’Am é riq u e méridionale , c e u x que l’on
appelle biche des bois, d e spatétuviers à C a y e n n e ,
les cerfs .du Gange ou biches de Sardaigne , enfin les
cerfs du cap de B o n n e -E fp é ran ce , de G u in ée , & c .
fo n t d’efpèces différentes.
L à chair du faon (p e t i t du cerf dans le p rem ie r
âge ) eft bonne à manger ; celle de la biche & du
daguet n’eft pas abfolument m au v aife , mais ce lle
des cerfs a tou jou rs un g o û t défagréable & fo rt. C e
que c e t animal a de plus utile , c ’efl; fon bois & fa
peau ; von; la p rép a re , 8c elle fait un cuir fou p le 8c
très -durable ; le bois s’emp lo ie p ar les co u te lie rs ,
les fourbilfeurs , 8cc . & l’on en tire p ar la C h ym ie
des efprits alkalis v o la tils , don t la m ed e c in e fait un
fréquent ufage. O n o b fe rv e que le b o is en le v e de
deflùs la tê te de l’animal tu é e ft b e au cou p meilleur
que celui qu’il, m e t bas de l u i -m ê m e , & qu’on
tro u v e tom b é dans les forêts^
C om m e le c e r f eft le plus noble d’en tre les habitans
des bois , il ne fe rt aufli qu’au x plaifirs des plus
n ob les des h om m e s. L a chaffe du cerf demande des
connôiffances qu’on ne p eu t a cq u é rir que p a r 1 e x p é rien
c e ; e lle fuppofeun appareil r o y a l , des h om m e s ,
des c h e v a u x , dés chiens , to u s e x e r c é s , fty le s ,
d re ffé s, qui p a r leurs m o u v em en s , leurs re ch e rch e s
& leur in te llig e n c e , d o iv en t aufli co n co u r ir au.
m êm e b u t. L e v en eu r doit jug er l’age 8c le fe x e ;
il d o it fav o ir diftinguer & re co n n o ître p ré c ifém en t
fl le cerf qu’il a d étourné a v e c fon limier , eft un
d a g u e t, un jeune cerf, u n cerf de d ix co rs je u n e -
m e n t , un cerf de d ix co rs ou un v ie u x cerf-, 8c les
principaux indices qui p eu v en t d o n n e r c e t te con—
noiffance , font le pied 8c les fumées ( fientes ) .' L e
p ied du cerf eft m ieu x fait que celu i de la b i c h e , fa
jambe eft plus groffe 8c plus p rè s du ta lon , fes voies
( tra c e s ) fo n t m ieu x to u rn é e s , 8c fes allures plus
gran des ; il m a rch e plus ré g u liè rem e n t, 8c p o r te le
pied de d e rriè re dans celui de d e v a n t , au lieu que
la biche a le p ied plus m a l fait , les allures plus
co u rte s , 8c ne pofe pas regu lie rem en t le p ied de
d e rriè re dans la tra c e de celui de d ev an t.
D è s que le cerf eft à fa q u atrième tê t e , il e ft
affez reconrioiffable p ou r ne p as s’y m ép ren d re ;
mais il faut de l’h abitude p ou r diftinguer lepied^du
jeu n e cerf de celui de la b ich e ; 8c p o u r e tre fur ,
o n doit y re g a rd e r de p rè s & en r e v o ir fo u v en t.
L e s cerfs de dix co rs je u n em e n t, de dix c o r s , & c .
font en co re plus aifés à re co n n o ître , ils o n t le p ied
de d ev an t b e au cou p plus g ros que celui de d e rriè re ;
8c plus ils font v ie u x , plus les co té s des pieds fo n t
g ro s 8c u f é s , .ce qui fe jug e aifém en t par les allures